Mains pleines de roses, pleines d'or et pleines de sang

L'enivrement de la passion, poussé jusqu'au délire le plus sanglant :


Le destin a frappé Georges d'une malédiction mais il ricane quand on lui expose lors d'une soirée mystérieuse dans un château, la fatalité de son avenir : la guillotine. La mort de son frère sera un peu plus libre « mort violente », au choix de la Providence.
Sa vie commence pourtant sous les meilleurs auspices, il observe, ébloui, dans un parc une fille rieuse et pure qui s'évapore à son approche. Chaque hallucination ou apparition de cette fille-fantôme sera un symbole de son état intérieur. Pour l'instant, il n'est que jeune, savant, beau, intelligent… le fantôme n'a rien d'autre à lui proposer comme vision et miroir que la perfection féminine issue du paradis.
Mais cela, c'était avant de connaître l'amour avec la réelle Mlle Valentine de Margival « c'était un gracieux spectacle de les voir tous les deux, ivres de jeunesse, sans souci du monde, oublieux du temps et cueillant l'heure ». 

L'inévitable séparation provient d'un Roméo et Juliette pour classes supérieures. Il n'était que fils d'un magistrat avec une bonne dot quand elle était une noble avec une dot importante et prédestinée, par son père, à se marier avec un ambassadeur qui sera, bien entendu, pour la cruauté de l'histoire, un sombre mari froid et indifférent.
Georges se ridiculise par une tentative de suicide ratée qui attire l'attention des futurs époux sans rien y changer.

Suite à toute cette effervescence sentimentale qui monte et descend de façon vertigineuse, il se résigne à « faire son droit » au quartier Latin. Il fera plutôt sa débauche que son droit.
« l'orgie, l'orgie de l'esprit l'avait envahi de la tête au coeur. Il était entré dans le labyrinthe de la passion, la passion sans âme »
Un 2ème signe du destin l'interpelle : la fille fantôme réapparaît dans un café-bal où l'on danse frénétiquement et lui jette des roses fanées, souillées et piétinées puis s'envole aussitôt. Quand on le trouve à un opéra luxueux, pleinement satisfait de sa supériorité, le spectre lui jette de l'or.
Sans comprendre le sens de ces apparitions, Georges s'exile de Paris et retourne spontanément en sa demeure familiale car c'est ici qu'il a vu pour la première fois cet étrange spectre.
Autre avertissement : la prédiction d'une mort certaine se réalise, son frère meurt dans un duel, soit bien une mort violente et conforme à ce qu'avait énoncé Madame au début du roman.
Agité et troublé, un éclaircissement s'impose à toutes ces coïncidences et signes de l'au-delà. Il s'intéresse au spiritisme sans trop y croire et se rapproche des meilleurs médiums et voyants mais s'égare davantage.

Il précipite au contraire sa chute, il renoue les liens avec Valentine, les heureuses retrouvailles. Mais dans ces liens, il y a une lourde chaîne d'un côté, un amour vif, puissant et étouffant « Il gardait avec religion le souvenir radieux de Valentine. C'était une source pure où il retrempait son âme ; c'était le rivage après toutes les tempêtes ; c'était le coin du ciel à travers les nuées les plus sombres » et de l'autre s'y trouve un mince fil ; Valentine s'amuse à ses côtés et oublie la sévérité et la maltraitance de son époux. Etant provisoirement libérée du joug marital, elle se défoule « Elle se jetait à travers la vie pour toucher à tout et pour mordre à tout ».
Valentine est la réponse à tous les égarements parisiens de Georges, c'est son idée fixe, sa réponse à tous les maux.
A cette obsession si intense, il fallait du sang et un crime pour mettre fin au drame. Suite à un flagrant délit d'adultère ouvertement constaté par son mari, Valentine est cloîtrée au couvent et Georges prépare le crime.

3ème apparition : la fille-fantôme est métamorphosée en fille de joie sur un boulevard en pleine nuit. Un instant avant de s'évaporer, elle laisse tomber un couteau ensanglanté. Georges observe la scène immédiatement après avoir assassiné le mari de Valentine.

C'est ici que le destin se confirme également pour Georges, condamné à mort.
Tout juste a-t-il le temps de se confier à un abbé. S'il est ravi d'avoir une oreille attentive, il est férocement hermétique à toute repentance religieuse en s'abandonnant à Dieu car il lui en veut ! Lui qui a semé le mal, qui l'a maudit, qui a joué avec lui avec toutes ses étranges prédictions… C'était un avertissement du ciel ! Il fallait lutter avec le démon, rétorque l'abbé. Les paroles les plus sensées n'ont pus le convaincre, mais la parole la plus innocente de Valentine qui lui fit une visite, suffit à le convertir in extremis avant sa condamnation.
4ème apparition : la fille-fantôme est un jeune fille vêtue de blanc qui monte au ciel…. Avec lui, au moment même où Georges se fait guillotiner.

Georges aurait dû développer davantage sa foi car Dieu seul pouvait l'aider à maitriser ses passions et éviter le tragique sort d'une mort violente ?
Peu importe si c'était en partie le but moral et religieux de l'auteur, toutes ces aventures romanesques et occultes valent largement la lecture. On vibre de ce romantisme de haute volée. S'il il y a parfois de la coquetterie dans ses phrases, on n'y ressent jamais cette lourdeur d'un auteur voulant nous écraser sous des artifices romantiques à l'aide de grandes phrases pompeuses. On y trouve de la douce prose, des réflexions sociales et même des dialogues vivants.