"Ténébreuse" m'a prise dans ses filets.
"Ténébreuse" m'a happée, mais il est vrai que j'étais une proie facile.
Un biche pistée par des lions affamés, un renard acculé par la chasse à courre.
Facile, quoi.
Mais comment ne pas céder au chant des sirènes quand la couverture est si belle? Quand la quatrième de couverture promet moyen-âge et magie, échos de contes et de légendes? Quand, enfin, le nom
D Hubert que j'adore orne la couverture (car oui, je le confesse, avant "Ténébreuse", je ne connaissais pas Mallié, mais c'est une lacune à laquelle je compte bien remédier!)? Quand c'est "Aire Libre", cette collection somptueuse?...
Comment?
Je n'ai pas su, ni pu, résister... et à vrai dire, je me suis rendue sans combat, un peu comme la chèvre de Monsieur Seguin. Sauf que moi, j'ai troqué ma reddition contre une heure de délice absolu. Un échange dont je sors au moins aussi gagnante que mon libraire, si ce n'est davantage.
"Ténébreuse" est un bijou, une merveille de roman graphique et Mallié et Hubert sont des magiciens.
L'histoire commence comme dans un conte, moins Perrault que Grimm: Arzhur, chevalier aussi beau que tourmenté s'abîme dans les tavernes où il boit pour oublier son honneur perdu. Il rencontre au cours d'une nuit trois vieilles femmes -trois harpies, à mi-chemin entre les sorcières de Macbeth et les korrigans- qui lui proposent un marché: délivrer une belle et mystérieuse princesse de sa tour noire en échange de sa dignité retrouvée et d'espèces sonnantes et trébuchantes. Arzhur aurait pu écouter la méfiance de son écuyer, mais il accepte ce pacte étrange et part en quête de la princesse, flanquée des trois créatures et nantie d'une épée magique. Il ne faut guère de temps au jeune homme pour pourfendre les monstres repoussants qui gardent le château et délivrer la brune Islen. le conte aurait pu s'achever là, à la Perrault mâtiné de Grimm. Ce n'est pourtant que le début et l'intrigue prend alors un tournant inattendue.
La princesse s'emporte contre son sauveur dont elle raille la candeur et l'ignorance. Les choses ne sont pas ce qu'elles semblent être et sous les apparences se cachent parfois tant de secrets...
C'est alors que le voyage commence vraiment pour Arzhur et Islen, un voyage jusqu'au royaume du père de la princesse et jusqu'au fond d'eux-mêmes.
Au coeur de l'ouvrage se déploie une histoire hypnotique, que nourrissent et servent autant les dessins magnifiques de Mallié dont j'ai adoré l'esthétique, le trait, les couleurs (tout!) que le scénario, complexe, mystérieux imaginé par Hubert.
J'ai aimé la manière dont tous deux s'emparent des oripeaux du conte pour les détourner, dont ils se servent d'un univers de fantasy sombre pour proposer une réflexion extrêmement forte sur l'identité, la quête de soi, l'héritage familial.
J'ai aimé la complexité des personnages, leurs dualité.
J'ai aimé l'atmosphère très sombre et envoutante qui se dégage du livre: lourde de mystères, de non-dits, de tensions... Ainsi, on ignore tout de ce qui mena Arzhur à sa déchéance ou des motivations des trois vieilles.
J'ai aimé retrouver Mélusine -ou est-ce la vouivre?- dans le personnage de la mère d'Islen et sa légende, les passions troubles qui l'entourent.
Ces accents légendaires, presque celtiques me fascinent toujours et me cueillent à chaque fois, et j'aime voir ces légendes réinventées, éternelles et immuables mais porteuses à chaque fois des préoccupations d'une époque, d'un (ou deux!) artiste...
J'ai aimé les relents d'épopée autour d'un récit beaucoup plus intimiste qu'il en a l'air.
J'ai aimé son infini profondeur et ses questionnements.
Son féminisme aussi.
J'ai aimé qu'il m'embarque très loin, un peu comme "L'âge d'or" par exemple.
J'aime un peu moins la perspective de devoir guetter la suite. Je sais déjà qu'elle me paraîtra interminable, cette attente...mais comme j'ai un faible pour le bel Arzhur, si triste, je suis prête à l'attendre.
Aussi longtemps qu'il faudra.