Citations sur L'Empreinte de l'ange (44)
Dans chaque histoire d'amour fou il y a un tournant ; cela peut venir plus ou moins vite mais en général cela vient assez vite ; la plupart des couples ratent le tournant, dérapent, font un tonneau et vont s'écrabouiller contre le mur, les quatre roues en l'air.
La raison en est simple : contrairement à ce qu'on avait cru pendant les premières heures, les premiers jours, tout au plus les premiers mois de l'enchantement, l'autre ne vous a pas métamorphosé. Le mur contre lequel on s'écrase après le tournant, c'est le mur de soi. Soi-même : aussi méchant, mesquin et médiocre qu'auparavant. La guérison magique n'a pas eu lieu. Les plaies sont toujours là, les cauchemars recommencent. Et l'on en veut à l'autre de ce qu'on n'ait pas été refait à neuf ; de ce que l'amour n'ait pas résolu tous les problèmes de l'existence ; de ce que l'on ne se trouve pas en fin de compte au Paradis, mais bel et bien, comme d'habitude, sur Terre.
Elle s’accrocherait à n’importe quoi Saffie. Emil est son prétexte, son alibi, le sine qua non de ses amours avec Andras. Emil est leur otage.
Que pense-t-elle faire dans trois ans ? Elle n’y pense pas. La vie dans l’amour fou est une série de maintenant, étayée par un passé soigneusement censuré et par un avenir nébuleux.
Elle ferme les yeux. Du bout de son index, Andras se met à dessiner son profil, commençant sur le front, à la naissance des cheveux, puis descendant délicatement entre les sourcils, suivant le fine crête du nez et se glissant dans la fossette entre la racine du nez et des lèvres.
- C'est ici, dit-il, que l'ange pose un doigt sur les lèvres au bébé, juste avant la naissance - chut !- et l'enfant oublie tout. Tout ce qu'il a appris là-bas, avant, au paradis. Comme ça, il vien au monde innocent...
Les paupières de Saffie s'ouvrent progressivement, elle veut vérifier l'empreinte de l'ange sur le visage de son amant mais son regard est aspiré par la bleue lumière dansante des yeux qui l'étudient.
- Sinon, poursuit Andras en riant, qui veut naître ? Qui accepte d'entrer dans cette merde ? Ha ! Personne ! On a besoin de l'ange !
- Et ça s'arrête quand, l'innocence ? demande Saffie d'une voix rêveuse, remuant à peine les lèvres sur lesquelles le doigt d'Andras est encore posé. Toi tu es innocent ?
Ils se sont presque perdus en ce moment, chacun noyé dans le sang de ses souvenirs, drainé de tout espoir et de tout désir, échoué dans l’immuable solitude du malheur.
Enfin, plusieurs centaines d'autres Algériens, cette nuit-là, ont disparu. Peut-être ne sont-ils pas morts, il faut toujours rester optimistes. Peut-être en avaient-ils assez de vivre dans leurs bidonvilles puants et ont-ils décidé d'aller se couler la vie douce à Tahiti. Ca aussi, c'est la France.
Et c'est la fin?
Oh non! Je vous assure que non.
Il suffit d'ouvrir les yeux : partout, autour de vous, cela continue.
Ils se sont presque perdus en ce moment, chacun noyé dans le sang de ses souvenirs, drainé de tout espoir et de tout désir, échoué dans l'immuable solitude du malheur.
Comment tant de mondes peuvent-ils coexister sur une même planète? Lequel parmi eux est le plus précieux, le plus vrai, le plus urgent à connaître? Ils s'agencent entre eux de façon complexe mais non pas chaotique, avançant de front, tourbillonnant, entrant en collision et en collusion les uns avec les autres, des effets surgissant des causes et se transformant à leur tour en causes qui déclencheront des effets et ainsi de suite et ainsi de suite, à l'infini..
Un infini dans l'ensemble assez funeste, il faut bien le dire.
Comment comparer les souffrances ?
La souffrance de chacun est la plus grande
Mais qu'est-ce qui nous permet de continuer ?
C'est le son, qui va et qui vient
comme l'eau parmi les pierres.
Göran Tunström
Il ne cherche pas à justifier l'importance absurde que vient de prendre cette étrangère dans sa vie. C'est comme ça, l'amour.