Les partiels défilent et je m'empresse de les terminer pour retourner à mes lectures. Ça tombe bien, au menu, il y a
le meilleur des mondes. Une amie que j'ai eue au téléphone et qui a le double de mon QI (en même temps, me diriez-vous, c'est pas difficile) m'en a fait les éloges : « C'est encore mieux que 1984 ! ». Et je ne suis pas loin d'être de son avis : tout aussi noir et jusqu'au-boutiste, mais beaucoup plus futuriste et ambigu,
le meilleur des mondes est un ouvrage baroque qui n'a pas fini de poser des questions ; mais à l'austérité de l'Angsoc s'oppose ici l'hédonisme des Alphas-Plus.
Car tout va pour le mieux…
Dans un futur relativement éloigné issu des dérives aussi bien du communisme que du capitalisme, les gens ne vivent plus que pour la société : société pour laquelle ils consomment tous ses produits afin d'augmenter ses richesses, société dont ils suivent les principes sans jamais les remettre en question, société qu
i les conditionne dès leur procréation. La famille est abolie, les foetus grandissent en utérus artificiels, et les gens sont génétiquement programmés pour être beaux et intelligents s'ils sont Alphas (traduisez bourgeois), bêtes et moches s'ils sont Epsilons (traduisez étudiants prolétaires). Personne ne regrette d'appartenir à sa caste, et quand bien même ce serait le cas, n'importe qui pourrait se consoler autant qu'il veut dans la consommation d'objets, de sexe ou de drogue ; car après tout, nous sommes dans
le meilleur des mondes, non ?
Dans le système totalitaire imaginé par Huxley, l'individu suit un conditionnement en permanence ; il n'est libre d'aucun choix, car on choisit ce qu'on lui fait aimer ou détester en fonction de son échelon social, sans jamais laisser de place au hasard.
Il est impossible de s'émanciper de la caste qu'on vous attribue, non seulement à cause de la pression politique et psychologique, mais parce que le désir de se conformer à l'ordre établi est inscrit dans vos gènes.
Ce qui a tellement défrayé la chronique, c'est que l'auteur a retourné le concept d'utopie utilitariste en poussant sa logique jusqu'au bout. Il s'agit d'une société où chacun est programmé pour obtenir un épanouissement maximal. Pourtant, nous nous révulsons à l'idée de cette société : que pouvons-nous dire d'un bourrage de crâne permanent, d'une manipulation constante qui ne laisse aucune place à la fantaisie ou à la liberté ? Pouvons-nous accepter que pour des raisons eugéniques, certaines personnes possèdent une meilleure intelligence que d'autres, et soient donc plus aptes à nous diriger que nous-même ?
Le livre semble alors un plaidoyer pour le libéralisme, pas spécialement au sens où nous l'entendons nous les français, un système prônant l'émancipation de l'individu par le capitalisme, mais au sens plus large, soit ce qui s'oppose à l'autoritarisme. Mais désirerions-nous abandonner le progrès de la science pour aboutir à une société où les rôles sociaux seraient distribués aléatoirement ? Que choisirions-nous entre le bonheur et la liberté ? le livre se pose ainsi comme un formidable vivier de réflexions éthiques, que va devoir essayer de trancher
Le Sauvage, l'un des derniers humains à avoir été procréé naturellement. Contrairement à ce que son nom pourrait laisser penser,
il est cultivé voire érudit, initié au christianisme, et porte des idéaux plus nobles et compréhensibles que la civilisation qu'il découvre. Évidemment, tout va finir très mal.
Quelques petits défauts tout de même…
Le meilleur des mondes s'avère donc un ouvrage prévenant autant des dérives futures de la technologie qu'il questionne nos idéaux actuels, le tout avec lyrisme et nombre d'hommages aussi bien aux cultures sudaméricaines qu'aux grands écrivains anglais. Un ou deux détails m'ont fait tiquer malgré tout : le mélange communisme / capitalisme semble franchement incongru, et ça se sent sur certains points, comme une société basée sur la consommation où pourtant les gens auraient des noms comme Lenina ou Polly Trotsky… Ce qui aurait eu une chance passer si au moins ç'avait été plus subtil.
Dans l'avant-garde du XXe siècle, il faut aussi dire que l'on posait souvent la question de la sexualité de l'enfant, ce qui débouchait parfois sur l'idée que celui-ci pouvait éprouver du plaisir avant la puberté (ce qui constitue encore maintenant une excuse pour les pédophiles de tout poil). Je ne vais pas m'improviser en sexologue amateur, mais il me semble quand même hasardeux de bâtir une société séculaire éveillant les enfants aux, hum… choses de la vie dès 7-8 ans. D'autres théories développées dans le livre se sont révélées invalides, comme l'hypnopédie par exemple.
Enfin, certains effets sont efficaces à petite dose, à forte, moins : on pensera au « montage alterné » changeant sans cesse de point de vue à la fin de la présentation de l'univers pour perdre totalement le lecteur, un tourbillon fascinant pour ne pas dire proto-psychédélique mais à mon avis bien trop long ; ou encore aux répliques de
Shakespeare, qui deviennent à la fin du livre presque systématiques.
Conclusion
Malgré quelques petits défauts, sans doute pour certains subjectifs,
le meilleur des mondes reste un roman fascinant, n'ayant quasiment pas pris une ride et qui s'avère un indispensable dans le style « utopie ambigüe ». À noter que l'auteur a écrit un essai où il développe les thématiques plus en détail,
Retour au meilleur des mondes, qu'il faudra bien que je lise un jour, puisqu'après tout, c'est pour ma culture…
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