Ce n'est pas tous les jours qu'un livre me permet de mieux me comprendre et change durablement le regard que je porte sur le monde !
Eva Illouz examine les relations de couple avec l'oeil du sociologue, et cela change tout ! Alors qu'un nombre infini d'ouvrages vous parle des relations hommes-femmes, d'un point de vue psychologique, ce livre se place sur le terrain de la société et de son organisation. Les livres de psychologies vous expliquent que, si vos précédentes relations ont échouées, c'est quelque part parce que vous répétez des schémas que vous auriez pu changer en faisant un travail sur vous-même, et cela se révèle assez culpabilisant, car cela vous montre que c'est de votre faute si vous n'avez pas su changer. Eva Illouz nous montre, au contraire, comment une grande partie de nos choix amoureux sont guidés par des marqueurs sociaux, dont elle nous fait prendre conscience. Ainsi, la variété des partenaires que je peux choisir et l'architecture même de mes choix amoureux, sont en grande partie limités par ma place dans la société et des marqueurs sociaux dont j'ai hérités et dont je ne suis pas responsable. C'est brillamment démontré dans son argumentation que je ne peux rendre que de façon imparfaite (c'est pour ça qu'il faut absolument lire ce livre !!!).
En plus, Eva Illouz prend de multiples exemples dans la littérature (Jane Austen...) pour illustrer son propos et nous montrer comment les relations hommes-femmes ont évoluées dans le temps. Elle nous montre qu'il y a une façon bien spécifique de souffrir de l'amour dans notre monde contemporain. Une rupture remet en cause notre identité profonde car beaucoup de marqueurs sociaux qui nous permettaient autrefois de nous définir en dehors de la relation de couple ont disparus.
Elle met aussi en lumière deux besoins contradictoires qui mettent en péril nombre de couples qui ne s'entendent pas sur leur juste équilibre : le besoin d'autonomie et le besoin de reconnaissance.
Eva Illouz a mis vingt ans à écrire ce livre et il est passionnant de bout en bout !
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Avec "La fin de l'amour", "Pourquoi l'amour fait mal" est un passionnant essai sur l'amour moderne. La quatrième de couverture résume la problématique à laquelle l'individu est confronté.
Je trouve très difficile de synthétiser le contenu de ce livre tellement les pistes de réflexion sont nombreuses.
Le plan de l'ouvrage :
Introduction : les malheurs de l'amour
1. La grande transformation de l'amour ou l'apparition des marchés matrimoniaux
2. Les phobies de l'engagement et la question du choix amoureux
3. La demande de reconnaissance : l'amour et la vulnérabilité du moi
4. Amour, raison, ironie
5. du fantasme romantique à la désillusion
Epilogue
Je retiens notamment :
- La pychologisation et la subjectivisation croissante du choix du partenaire ce qui rend la relation dépendante d'éléments instables comme l'humeur, les goûts, des différences non essentielles. Sophistication du choix, multiplication des critères de sélection, idéalisation du profil du partenaire au risque de subir la désillusion : "La caractéristique principale de l'intimité moderne, est qu'elle peut être interrompue à n'importe quel moment si elle cesse de correspondre aux émotions, aux goûts et à la libre volonté."
- Tendance aussi à adopter non pas une stratégie de la satisfaction qui incite à une certaine sagesse et à apprécier ce qu'on a, mais une stratégie de la maximisation où la personne a le sentiment de rater de meilleures opportunités sur le marché de l'amour, avec l'espoir de toujours trouver mieux sur un marché où l'offre abonde et pousse à un opportunisme nuisible à la stabilité des couples.
- Ecart entre les fantasmes de l'amour romantique et l'adéquation des outils et modèles culturels utilisés pour les réaliser (internet, rationalisation permanente, désacralisation de l'amour par les sciences comme la psychanalyse, la psychologie, la biologie, les neurosciences, etc).
- Importance prise par la sexualité et l'apparence physique dans la compétition sur le marché de l'amour. A travers la sexualité et l'amour, l'individu remet en en jeu le sentiment de sa propre valeur, ce qui n'était pas le cas autrefois. La souffrance est bannie, alors que le modèle courtois, le christianisme, le romantisme véhiculaient l'idée que la souffrance et la frustration faisaient partie de la vie. Nos efforts désespérés vers un idéal inatteignable finissent par déboucher sur le désenchantement et la désillusion.
- Refus de s'engager, surtout chez les hommes, alors que les femmes continuent à vouloir s'attacher durablement, plus vite poussées par l'impératif biologique de la reproduction à choisir un partenaire durable.
- L'engagement est vécu comme une aliénation de sa liberté.
- Les hommes profitent davantage que les femmes d'un marché sexuel où l'offre sur les sites de rencontres est abondante, les partenaires interchangeables.
- La femme, plus que l'homme, met en jeu le sentiment de sa propre valeur à travers ses relations amoureuses. L'homme, finalement, continue à dominer la femme, du moins à profiter plus qu'elle de la libéralisation sexuelle. Les femmes souffrent davantage de l'amour que les hommes car elles en attendent davantage de reconnaissance qu'eux.
Ceux qui sont intéressés par les thématiques de l'amour, des relations hommes-femmes, de la sexualité, et qui s'interrogent sur le pourquoi de leurs échecs, de leurs frustrations, de leurs répétitions dans l'échec, au-delà des causes purement individuelles et des explications psychologisantes et parfois culpabilisantes, seront enchantés par cet essai d'une grande richesse qui analyse aussi l'impact de la société et de l'environnement sur les moeurs.
Toutes les questions sont posées, toutes les problématiques du marché de l'amour sont développées, on en ressort lucide. Cela n'empêchera pas d'être confronté à nouveau aux difficultés de trouver la stabilité amoureuse avec le partenaire qui convient, mais au moins on aura des clefs de compréhension et des points de vigilance utiles pour faire les bons ou les moins mauvais choix et poursuivre sa route avec plus de sérénité.
J'ai été passionné par ma lecture, j'ai trouvé l'essai brillant. Je mets cinq étoiles.
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