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ATTENTION CHEF D'OEUVRE ! Quel bijou que ce livre que j'ai acheté par hasard ! Une rigueur dans l'analyse, une véritable reconstruction historique et sociologique des formes amoureuses de notre époque. L'auteur soutient en effet que si l'amour a certainement toujours existé, il existe des amours, des souffrances et des désillusions qui sont typiquement modernes. le plan est solide, les phrases confinent au sublime tant elles sont par moment bien écrites et emplies à la fois de lucidité et de sagesse. Vraiment impressionnant. Les références sont diverses et variées, interdisciplinaires. Jamais un auteur n'a autant montré que la sociologie pouvait être rigoureuse ; et jamais un auteur n'a autant rappelé que la sociologie a pris pour thème de sa recherche les souffrances de la condition humaine : pauvreté, misère, oppression politique, le suicide chez Durkheim, certes ; et maintenant, pourrait-on ajouter, les souffrances de l'amour et des désillusions avec cette sociologue. Ce qui est terrible me semble-t-t-il, c'est aussi ce qui est implicitement suggéré même si l'auteur ne le dit pas : nous sommes faits pour nous faire souffrir au sujet de l'amour. Nous sommes responsables de nos désillusions, de nos déceptions. La rationalisation extrême de nos demandes (sur nous-mêmes : est-ce que j'aime vraiment ? ; sur les causes de notre amour : est-ce une passion passagère ? ; sur les nombreux paramètres espérés : gentil, beau, courtois, intelligent, charmant, etc etc ; sur les modèles idéaux et imaginaires : mais n'y a t-il pas mieux, est-ce qu'il n'y a pas une autre histoire possible qui serait plus épanouissante ?) entraîne une véritable souffrance dont nous sommes la cause. Incontournable.
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Ce n'est pas tous les jours qu'un livre me permet de mieux me comprendre et change durablement le regard que je porte sur le monde !

Eva Illouz examine les relations de couple avec l'oeil du sociologue, et cela change tout ! Alors qu'un nombre infini d'ouvrages vous parle des relations hommes-femmes, d'un point de vue psychologique, ce livre se place sur le terrain de la société et de son organisation. Les livres de psychologies vous expliquent que, si vos précédentes relations ont échouées, c'est quelque part parce que vous répétez des schémas que vous auriez pu changer en faisant un travail sur vous-même, et cela se révèle assez culpabilisant, car cela vous montre que c'est de votre faute si vous n'avez pas su changer. Eva Illouz nous montre, au contraire, comment une grande partie de nos choix amoureux sont guidés par des marqueurs sociaux, dont elle nous fait prendre conscience. Ainsi, la variété des partenaires que je peux choisir et l'architecture même de mes choix amoureux, sont en grande partie limités par ma place dans la société et des marqueurs sociaux dont j'ai hérités et dont je ne suis pas responsable. C'est brillamment démontré dans son argumentation que je ne peux rendre que de façon imparfaite (c'est pour ça qu'il faut absolument lire ce livre !!!).

En plus, Eva Illouz prend de multiples exemples dans la littérature (Jane Austen...) pour illustrer son propos et nous montrer comment les relations hommes-femmes ont évoluées dans le temps. Elle nous montre qu'il y a une façon bien spécifique de souffrir de l'amour dans notre monde contemporain. Une rupture remet en cause notre identité profonde car beaucoup de marqueurs sociaux qui nous permettaient autrefois de nous définir en dehors de la relation de couple ont disparus.

Elle met aussi en lumière deux besoins contradictoires qui mettent en péril nombre de couples qui ne s'entendent pas sur leur juste équilibre : le besoin d'autonomie et le besoin de reconnaissance.

Eva Illouz a mis vingt ans à écrire ce livre et il est passionnant de bout en bout !
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Le présent ouvrage a pour objet l'analyse comparative de l'idéal-type de la relation afférant à la conjugalité (hétérosexuelle, monogame, occidentale surtout anglo-saxonne et basée principalement sur une perspective féminine) dans la modernité tardive par rapport à l'époque pré-moderne (XIXe siècle avec quelques aperçus précédents) ; cet idéal-type se développe (ou est imposé) culturellement, par la littérature et l'épistolaire jadis, associé à l'image et aux technologies informatiques à présent, au sein de la classe dominante, la moyenne et haute bourgeoisie (masculine).
Sa thèse fondamentale consiste à établir, dans le passage entre les deux modèles, la primauté des déterminants sociologiques – les conditions économiques et sociales de la société – vis-à-vis de la lecture psychologique ou psychanalytique qui focalisent l'interprétation de l'amour sur l'individu ou sur son inconscient (respectivement), puis vis-à-vis de l'épigone de cette lecture, représenté par « l'industrie du self-help » ou développement personnel, vis-à-vis d'un certain féminisme qui aurait fait du recul du patriarcat et de la révolution sexuelle des gages de bonheur et d'épanouissement, enfin vis-à-vis des réductionnismes biologique et neuroscientifique. « Le fait que nous soyons des entités psychologiques […] est un lui-même un fait sociologique. » (p. 31)

Dans cette perspective, la modernité a apporté des changements dans « l'écologie » du milieu des possibilités conjugales, ainsi que dans « l'architecture du choix » du partenaire jusque là inouïs, fondés sur une incomparable liberté personnelle, sur une relative égalité entre les genres (mais au prix d'une inégalité individuelle accrue), sur la quête de la satisfaction sexuelle, sur une rationalisation des critères du choix (malgré la marchandisation de ceux-ci), sur une considération toute nouvelle de l'introspection propre et réciproque (en dépit d'une ontologisation de la personnalité et des sentiments), sur des variables inédites comme l'autonomie et l'engagement asymétrique, enfin sur le phénomène original de la demande de reconnaissance du moi par l'amour. Ces « avancés », dont la valeur n'est point remise en question, n'ont toutefois pas provoqué le bonheur amoureux ; à maints égards, et pour des raisons qui leur sont propres et consubstantielles, elles justifient même un nouveau malheur amoureux, de nouvelles formes de domination, l'approfondissement d'anciennes et de récentes inégalités et injustices. À ce propos, les résultats présentent d'étonnantes analogies avec les phénomènes liés à la libéralisation du marché capitaliste (référence est faite à Zygmund Bauman et à Bourdieu) et le consumérisme sévit d'une façon bien décrite dans le « champ sexuel », là où le choix amoureux – « comme notion conscientisée, réflexive » – prend les formes de la consommation économique.

Thèmes principaux :
La transformation de l'écologie et de l'architecture du choix
due à « des raisons normatives (la révolution sexuelle), sociales (l'affaiblissement de l'endogamie de classe […]), et technologiques (l'apparition de l'Internet et des sites de rencontre) » ;
l'élargissement considérable du choix des partenaires sur un champ indéfiniment ouvert rend le processus plus long et plus complexe, susceptible de réévaluation constante et sujet au calcul des chances d'opérer un meilleur choix ;
il transforme aussi la nature du désir et de la volonté.

L'apparition de champs sexuels
mise en compétition permanente des acteurs et travail incessant d'évaluation de soi et des autres en fonction de leur capital sexuel ;
asymétrie de genre entre la durée de la permanence dans le champ sexuel vs marché matrimonial, laquelle est liée à l'impératif de la reproduction [idée que je conteste] ;
influence du marketing et de l'industrie culturelle dans les critères d'évaluation ;
sexualité cumulative [je dirais plutôt « sérielle »] et détachement de l'affectif et/ou stratégies contradictoires d'attachement et de détachement et leur influence sur la dynamique des rapports ;
phobie de l'engagement (spécifiquement masculine) [idée que je conteste] ;

De nouveaux modes de reconnaissance du moi
dus à l'évolution et la précarisation du statut social provoquant des vulnérabilités accrues dans l'estime de soi, donc « sexualité hypertrophiée » car « transformée en statut » (p. 127) ;
la réussite dans le champ sexuel, et plus particulièrement la contradiction entre autonomie et engagement, ainsi qu'entre attachement et détachement influent sur l'amour de soi, et sa carence entraîne un processus d'auto-accusation ;
« la littérature prolifique consacrée à Mars et à Vénus [... dissimule] une réorganisation des différences de genre autour de l'amour comme source de sentiment de sa valeur (sociale et personnelle) pour les femmes ou du capital sexuel pour les hommes » (p. 376)

L'affaiblissement du désir et le manque de volonté
« L'ironie, la phobie de l'engagement, l'ambivalence, la désillusion […] constituent les composantes principales de ce que j'ai appelé la déstructuration de la volonté et du désir, conduisant de la formation de liens intenses à une froide individualité. Ces quatre composantes expriment la difficulté de s'engager totalement dans le désir de l'autre […] et, plus généralement, un refroidissement de la passion. » (p. 376) ;
très intéressante analyse conclusive (ch. V : « Du fantasme romantique à la désillusion ») de l'évolution de la conceptualisation de l'imagination par rapport au réel (presque un essai autonome), dans le passage entre la littérature et l'Internet : on parvient à la notion très intéressante de « désir autotélique » (i.e. le désir POUR le désir, et le désir DU désir – presque un bouclage de la boucle par rapport à la conception platonicienne de l'amour) [considération mienne propre].

Cette lecture est ardue, truffée de références très hétéroclites, non seulement sociologiques et philosophiques mais allant de la littérature aux entretiens, des blogs aux petites annonces et aux réponses aux lecteurs du New York Times. J'approuve entièrement l'usage du corpus littéraire dans un travail de sociologie culturelle, émettant toutefois la réserve qu'il aurait été plus opportun d'éviter les classiques du XIXe siècle, Jane Austen, Balzac, etc., en leur préférant des auteurs de moindre valeur artistique, donc plus fidèles à l'air du temps et au discours moyen, ne serait-ce que par symétrie avec les sources contemporaines utilisées. Je salue le souci constant de déculpabiliser les amoureux malheureux, contrairement à la démarche psychologique et mercantile américaine (merci à la psychanalyse européenne de nous en épargner aussi).
À certains moments, j'ai eu l'impression que l'effort démonstratif déployé était disproportionné par rapport au consensus autour de la thèse à défendre, provoquant une lourdeur aussi pénible qu'inutile. Je regrette aussi l'absence d'une bibliographie finale, du moment que retrouver une référence dans la pléthore des notes de bas de page s'avère extrêmement difficile.

Par contre j'émets trois critiques très fondamentales sur des questions de fond :

1/sur un aspect de l'asymétrie de genre :
« L'une des principales thèses de ce livre est d'une grande simplicité : les hommes disposent aujourd'hui d'un choix sexuel et émotionnel bien plus grand que les femmes, et c'est ce déséquilibre qui crée une domination affective » (p. 372).
Or, sans essayer de retracer toute une argumentation qui occupe plus de 80 p. soit la totalité du ch. II, il me semble que l'idée peut se résumer à une présence plus longue des hommes que des femmes sur le marché sexuel, et à une moindre perte de valeur sexuelle liée à l'âge chez les premiers : dans ces conditions, l'abondance masculine en nombre et en valeur serait supérieure à tout instant donné, et selon la loi de la demande et de l'offre...
2/ l'aspect culturel est insuffisamment traité : par ex. je sais que, dans le droit américain, la notion de divorce pour faute est encore très prégnante, de sorte que les conséquences financières d'un divorce sont désastreuses pour la partie jugée « fautive » (souvent l'homme), et cela a sans doute des conséquences énormes sur l'engagement matrimonial ; cette situation juridique est absente en Europe.
3/ la primauté (éventuelle) de l'approche sociologique ne peut être que complémentaire par rapport aux autres, dénigrées, et à celles, philosophique et politique, évoquées en filigrane :
« Si le choix est le propre de l'individu moderne, savoir comment et pourquoi les gens choisissent – ou non – de vivre une relation est essentiel pour comprendre l'amour comme expérience de la modernité. » (p. 38). Certes. Encore faut-il aussi savoir, au moins sur un plan personnel, QUI l'on choisit, ne serait-ce que pour tenir compte de tous ceux qui, en dépit de tous les déterminants sociologiques, s'avèrent NE PAS être malheureux en amour.
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Eva Illouz : Pourquoi l'amour fait mal (2012)
Le titre accrocheur est inspiré de Naomie Wolf (Quand la beauté fait mal, 1990, cité page 108) et sous-titré « L'expérience amoureuse dans la modernité ». Il est enrichi de notes, de résumés, de listes numérotées comme un travail critique mais la rigueur manque. Il ne définit pas l'expérience ni la souffrance amoureuses. L'amour est traité comme un sentiment individuel et non interpersonnel, le confinant au désir et à l'amour-propre, et la seule mention d'un amour réciproque apparait p. 222. La modernité est temporellement définie comme étant la période qui succéda à la première guerre mondiale. En occident, domaine exploré par EI, ce siècle hautement hétérogène a vu un doublement de la population et de l'espérance de vie, les bouleversements de l'urbanisation, la régression des convictions religieuses, l'accès des deux sexes à l'éducation, à la responsabilité économique et au vote, et l'émergence de la contraception et de l'avortement volontaire. L'influence de ces mutations n'est guère abordée et la littérature scientifique sur la morbimortalité associée à la rupture des relations de couple n'est pas mentionnée. Les sources déclarées sont les romans sentimentaux pour l'amour romantique, et, pour l'amour moderne (lire du XXIème siècle), un large éventail de manuels dédiés à la relation amoureuse, à la rencontre, au mariage et au divorce ; des sites internet de rencontre ; et pour finir une analyse de la chronique « Modern love » du New York Times. Il est enfin question de 70 entretiens où la personne interrogée la plus jeune a 25 ans, et la plus âgée 67, et toutes ont suivi des études supérieures. Ces interviews excluent les plus jeunes, donc les premières amours, et représentent un point de vue occidental, urbain, féminin, hétérosexuel dans une catégorie socio-culturelle favorisée. L'amour est la recherche du mariage dans l'amour romantique et de la quête impossible d'une relation stable dans l'amour moderne.

La thèse d'EI est que le malheur de l'amour contemporain vient d'une structure concurrentielle et capitaliste du marché amoureux, de l'abondance sexuelle et de la phobie masculine de l'engagement. de ce point de vue et dans ce milieu, le rôle parmi d'autres de ces facteurs est probable mais l'argumentation est purement rhétorique en terrain biaisé. Il manque des faits : ils pourraient venir de la comparaison du milieu urbain et du milieu rural pour le rôle du marché amoureux, de la comparaison du mainstream et des minorités (Pakistanais d'Angleterre, orthodoxes d'Israël, mormons des USA) pour le rôle de l'engagement, avec les ajustement nécessaires sur le revenu et le niveau d'éducation. le style est redondant avec une inflation de mots-valise (phobie masculine de l'engagement, psyché déficiente, sexualisation des femmes), de caricatures (l'hétérosexualité compulsive qui définit les différentes formes d'humiliation, de dénigrement et de mépris dont les femmes font systématiquement l'objet de la part des hommes), et d'affirmations hasardeuses (Dans le texte de Descartes, l'expérience du doute revêt un caractère jubilatoire, dans l'acception lacanienne du terme, semblable au plaisir que prend un bébé à anticiper le contrôle sur son corps , Sex and the City, que beaucoup considèrent comme une bible des relations amoureuses modernes, Marx, héritier et militant des lumières), etc.
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Eva Illouz nous invite à penser l'évolution du sentiment amoureux dans la modernité. Pourquoi continuons nous de souffrir en amour alors que les obstacles dus à la classe ou à la famille ont aujourd'hui presque disparus ? Nous pourrions a priori désirer et s'engager avec qui nous voulons dans les conditions que nous voulons... Ce livre suggère que l'organisation sociale de la souffrance amoureuse a profondément changé et se propose de comprendre la nature de cette transformation à travers l'étude de trois changement intervenus dans la structure du moi: La dérégulation normative du mode d'évaluation des partenaires potentiels (hors des normes de groupes et des cadres communs), une tendance croissante à envisager le partenaire sexuel et amoureux simultanément en termes psychologiques et sexuels, et l'apparition de champs sexuels, le fait que la sexualité joue en tant que telle un rôle de plus en plus important dans la compétition entre acteurs sur le marché du mariage.

Elle explique aussi d'où vient cette souffrance psychique, à la fois influencée par les idéaux et les attentes et par notre incapacité à lui donner sens.



L'autrice définit la modernité et en quoi elle a pu perturber les échanges entre les individus. Elle s'appuie sur les oeuvres célèbres de Jane Austen pour expliquer l'évolution du principe matrimonial, à cette époque régit par des considérations de classe plus que par le désir brut. Aujourd'hui l'engagement ne précède pas mais succède aux émotions éprouvées par le sujet, émotions qui devient la motivation de l'engagement. C'est ainsi que toutes nos interrogations prennent vie. Un régime d'authenticité émotionnelle envahit les rapports amoureux modernes, l'authenticité exige des acteurs qu'ils connaissent et agissent selon leurs sentiments pour en faire les piliers de leur relation. L'intensité et l'irrationalité des sentiments deviennent un indice de l'authenticité.



Un autre parti pris de cet ouvrage consiste a traiter de la condition amoureuse plus nettement du point de vue des femmes et plus particulièrement celles qui optent pour le mariage, la procréation et les modes de vie de classes moyennes.

La sociologue parle aussi de féminisme car elle reconnait que le libre marché des rencontres sexuelles ainsi que les aspirations et positionnements des femmes sur ce marché contribuent à la création de nouvelles formes de domination affective des femmes pour les hommes.

Eva Illouz n'ignore pas non plus que la liberté sexuelle et affective a produit ses propres formes de souffrances. En effet elle ne diffère pas de la liberté économique en ce qu'elle organise, encadre et légitime des inégalités.



Un ouvrage très complet et absolument passionnant.

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Un essai très difficile d'accès (et mal traduit soit-dit en passant) mais criant de pertinence. Dans L'Amour fait mal, Eva Illouz choisit d'étudier l'amour en tant qu'objet sociologique. Elle remet alors notamment en question la libérté sexuelle qui selon elle sert le capitalisme et anihile les femmes en tant que personnes morales pour mieux assoir une nouvelle forme de domination masculine : la domination affective qui s'exprime dans la cruelle "peur de l'engagement". Bref, enfin une explication sociologique complète et approfondie des souffrances vécues par de nombreuses femmes dans les relations amoureuses modernes.
Lien : https://tomtomlatomate.wordp..
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Avec "La fin de l'amour", "Pourquoi l'amour fait mal" est un passionnant essai sur l'amour moderne. La quatrième de couverture résume la problématique à laquelle l'individu est confronté.

Je trouve très difficile de synthétiser le contenu de ce livre tellement les pistes de réflexion sont nombreuses.
Le plan de l'ouvrage :
Introduction : les malheurs de l'amour
1. La grande transformation de l'amour ou l'apparition des marchés matrimoniaux
2. Les phobies de l'engagement et la question du choix amoureux
3. La demande de reconnaissance : l'amour et la vulnérabilité du moi
4. Amour, raison, ironie
5. du fantasme romantique à la désillusion
Epilogue

Je retiens notamment :
- La pychologisation et la subjectivisation croissante du choix du partenaire ce qui rend la relation dépendante d'éléments instables comme l'humeur, les goûts, des différences non essentielles. Sophistication du choix, multiplication des critères de sélection, idéalisation du profil du partenaire au risque de subir la désillusion : "La caractéristique principale de l'intimité moderne, est qu'elle peut être interrompue à n'importe quel moment si elle cesse de correspondre aux émotions, aux goûts et à la libre volonté."
- Tendance aussi à adopter non pas une stratégie de la satisfaction qui incite à une certaine sagesse et à apprécier ce qu'on a, mais une stratégie de la maximisation où la personne a le sentiment de rater de meilleures opportunités sur le marché de l'amour, avec l'espoir de toujours trouver mieux sur un marché où l'offre abonde et pousse à un opportunisme nuisible à la stabilité des couples.
- Ecart entre les fantasmes de l'amour romantique et l'adéquation des outils et modèles culturels utilisés pour les réaliser (internet, rationalisation permanente, désacralisation de l'amour par les sciences comme la psychanalyse, la psychologie, la biologie, les neurosciences, etc).
- Importance prise par la sexualité et l'apparence physique dans la compétition sur le marché de l'amour. A travers la sexualité et l'amour, l'individu remet en en jeu le sentiment de sa propre valeur, ce qui n'était pas le cas autrefois. La souffrance est bannie, alors que le modèle courtois, le christianisme, le romantisme véhiculaient l'idée que la souffrance et la frustration faisaient partie de la vie. Nos efforts désespérés vers un idéal inatteignable finissent par déboucher sur le désenchantement et la désillusion.
- Refus de s'engager, surtout chez les hommes, alors que les femmes continuent à vouloir s'attacher durablement, plus vite poussées par l'impératif biologique de la reproduction à choisir un partenaire durable.
- L'engagement est vécu comme une aliénation de sa liberté.
- Les hommes profitent davantage que les femmes d'un marché sexuel où l'offre sur les sites de rencontres est abondante, les partenaires interchangeables.
- La femme, plus que l'homme, met en jeu le sentiment de sa propre valeur à travers ses relations amoureuses. L'homme, finalement, continue à dominer la femme, du moins à profiter plus qu'elle de la libéralisation sexuelle. Les femmes souffrent davantage de l'amour que les hommes car elles en attendent davantage de reconnaissance qu'eux.

Ceux qui sont intéressés par les thématiques de l'amour, des relations hommes-femmes, de la sexualité, et qui s'interrogent sur le pourquoi de leurs échecs, de leurs frustrations, de leurs répétitions dans l'échec, au-delà des causes purement individuelles et des explications psychologisantes et parfois culpabilisantes, seront enchantés par cet essai d'une grande richesse qui analyse aussi l'impact de la société et de l'environnement sur les moeurs.
Toutes les questions sont posées, toutes les problématiques du marché de l'amour sont développées, on en ressort lucide. Cela n'empêchera pas d'être confronté à nouveau aux difficultés de trouver la stabilité amoureuse avec le partenaire qui convient, mais au moins on aura des clefs de compréhension et des points de vigilance utiles pour faire les bons ou les moins mauvais choix et poursuivre sa route avec plus de sérénité.

J'ai été passionné par ma lecture, j'ai trouvé l'essai brillant. Je mets cinq étoiles.
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Une sociologue qui prend, pour démontrer ses propos, les héroïnes de Jane Austen en exemple indiscutable, déjà, ça m'a paru louche, mais vu que Madame Austen est reconnue pour être un chef d'orchestre absolument époustouflant, je ne me suis pas méfiée...

Que plus du quart du livre s'évertue à gesticuler autour des rites amoureux du XVIIIème ou XIXème siècle, passe encore.

Mais qu'Eva Illouz n'ait pas pensé un instant que derrière les faux-semblant de la haute société européenne pouvait se cacher un monde parallèle dans lequel l'amour pouvait être totalement détaché de l'attachement matrimonial... pas facile d'adhérer...

Et puis que, pompeuse, madame se répète, revienne en arrière dans des affirmations douteuses sur la place de l'homme ou de la femme dans la société moderne, ça m'a fichu le bourdon.

J'ai démissionné en cours de route, honte à moi !
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Une véritable révélation. Derrière un titre un peu facile qui reprend le code des livres de développement personnel qu'elle critique tant, Eva Illouz nous propose une analyse très riche et une démarche sociologique originale en se penchant sur les sentiments amoureux. Elle les analyse dès lors non seulement comme des expériences individuelles mais aussi comme un phénomène social qui s'éclaire, se comprend et illustre la manière dont le capitalisme, le libéralisme et l'individualisme ont transformé nos pratiques et nos expériences amoureuses. Loin d'idéaliser l'amour pré-moderne et moderne, elle critique avec courage les effets négatifs de la toute libéralisation sexuelle et la manière dont elle participe au libéralisme économique
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Je me suis décidée à lire cette sociologue franco-israelienne grâce aux BD de Liv Strömquist qui la cite abondamment ! J'ai voulu aller à la source...
Directrice d'études à l'EHESS, elle est sociologue des sentiments et de la culture. J'aime que l'amour soit abordé dans un cadre sociologique, et pas seulement psychologique ou biologique (avec des explications naturalisant tout comportement d'une façon abusive). La thèse de ce livre : la souffrance affective a des caractéristiques propres à la modernité.

Auparavant la réussite d'un mariage ne tenait pas au lien affectif, mais cela a changé. À l'époque moderne, hédoniste et marquée par une culture de la consommation, les critères de choix du ou de la partenaire sont démultipliés. Ce choix rend paradoxalement les choses + compliquées. La recherche de ce•tte partenaire se calque sur l'économie de marché (accumulation d'attributs sociaux, psychologiques, sexuels...).
Alors que la liberté sexuelle semble possible pour toutes et tous, les inégalités de genre persistent, à cause du contexte patriarcal. Des femmes sont encore dépendantes du mariage pour leur survie économique (alors qu'il apporte + paradoxalement de bénéfices aux hommes...) ; et la phobie de l'engagement concerne surtout les hommes qui dominent le champ sexuel. L'autrice rappelle que les femmes doivent trouver des stratégies pour se protéger contre le viol, ont la procréation comme impératif social encore très marqué, que les critères comme la jeunesse sont plus contraignants pour elles, etc...
Majoritairement les hommes recherchent du sexe, et les femmes de l'affection, mais ça n'a rien de biologique : dans le patriarcat, les femmes restent subordonnées au mariage et à la procréation. Les sexualités des hommes et des femmes sont liées à leur pouvoir social.

Aujourd'hui l'amour est désenchanté, c'est le détachement et l'ironie qui le caractérisent (je lis en parallèle "Normal people", un roman qui l'illustrz super bien !) La rationalisation des liens intimes est renforcée par les moyens technologiques : gestion d'un flux de rencontres par le web, mesure et compétitivité, recherche de profils avec une liste d'attributs...

L'imagination a un rôle important dans cette analyse sociologique de l'amour: ce sont par des fictions (séries, livres, films etc.) que sont façonnées nos émotions, nos attentes, et que des scénarios sont construits. Les médias, les réseaux sociaux nous font rêver à une intensité émotionnelle qu'on ne trouve pas forcément au quotidien; la souffrance amoureuse découle alors de désillusions. J'ai beaucoup aimé cette réflexion sur le pouvoir de la fiction.

Elle clôture avec un appel à un retour de l'éthique dans les relations sexuelles et affectives, pour que liberté et éthique fonctionnent en tandem.

Le problème est dans la méthode. Pas d'étude, mais des sources diverses : quelques interviews de personnes occidentales hétéro de catégorie plutôt aisée (du coup les analyses reflètent ce biais), mais aussi romans d'amour et manuels de conseils et de développement personnel, articles sur le web... Eva Illouz développe une pensée critique brillante, mais la rigueur de la méthode me retient d'être à 100% transportée. Mais j'ai quand même adoré ma lecture.
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