La fin de la guerre vit la naissance des hommes-bouteilles et des ruches à homoncules. La guerre avait laissé derrière elle la Terre saignante et boursouflée. Les plaies se remplissaient au fil des années d’eau et de sable, transformant les villes en désert et les continents en îlots.
Ce qui s’était vraiment passé personne ne le savait. Un glissement de forces, une haine incontrôlable…
Des hommes s’étaient retrouvés attirés par de grands malades, cancéreux, lépreux, diabétiques. Ils étaient tractés par une force mystérieuse, traînés comme des chiens le long des rues poussiéreuses. Aspirés. Et ils s’engouffraient, désarticulés, dans les couloirs des cliniques, des hôpitaux, pour terminer leurs courses dans les salles d’opération, collés au corps du mourant. De gigantesques pyramides se formaient, faisant éclater les murs des édifices, des bâtiments poreux.
De nouvelles montagnes envahissaient ainsi la géographie changeante du globe. (Jacques Barbéri, « Mondocane »)
Je crois que nos contemporains sont particulièrement aveugles au monde où ils vivent. Ils sont incapables d’examiner cette psychologie de la vie de tous les jours. Et le but que je me suis fixé est exactement le contraire, cela consiste à inventorier les rapports entre ces mythologies modernes, les moyens de communication de masse, et les déformations des psychologies. C’est une géométrie secrète qui relie tous ces éléments entre eux, une logique interne de notre civilisation. Le sens général de l’évolution qui conduit du roman classique à la S.F., c’est ce passage du réalisme à ce que j’appellerais un néo-réalisme.Ce n’est évidemment plus le réalisme au sens où aurait pu l’entendre quelqu’un comme Flaubert, et pourtant, pour moi, La Foire aux atrocités est un livre profondément ancré dans cette nouvelle réalité. Je n’y parle que de ce qui est notre vie. Que ce soit la télé, la pub, les communications, les vedettes, je les traite tous comme des éléments de notre réalité. (J.G. Ballard)
Si j’ai besoin de renouer avec cette part de l’Amérique qui n’est pas la mienne, me suis-je dit, pourquoi ne pas en inverser les termes, et raconter l’histoire de gens qui, comme moi, ont été élevés par un parent blanc, issu d’un milieu universitaire relativement aisé, cette Amérique blanche que je connaissais relativement bien, sûre de ses convictions culturelles. « Chacun peut décider d’être qui il veut, chacun peut chanter ce qu’il désire » – c’est le rêve américain qui affirme que chacun peut choisir son identité. Autrement dit, il s’agissait de raconter une histoire avec des personnages qui porteraient sur eux-mêmes un regard très proche de celui que je portais sur moi-même, mais qui, en s’aventurant dans le monde, seraient contraints de représenter autre chose, puisqu’ils seraient perçus comme Noirs. (Richard Powers)
Au centre à peu près exact du land de Bade-Würtemberg, main dans la main, légèrement raidis par l’effort de concentration que réclament leurs études de théologie ou de germanistique, des étudiants marchent à petits pas dans la ville de Tübingen. Des recherches assez fouillées n’ont pas permis d’établir l’existence, dans les rues, au fond des puits ou dans les caves, d’autres sortes d’humains que les susnommés, théologiens ou germanistes. Le temps s’est immobilisé tout à fait, et l’on peut affirmer sans crainte d’être contredit qu’il ne se passe plus rien ici et qu’il ne s’y passera plus jamais rien. (Alban Lefranc, « Le fils et Gudrun Ensslin »)
En laisse est donc, a priori, avant même d’être ouvert, un livre passionnant du fait de l’armada de questions qu’il soulève. Armada qui rappelle avec force – et malgré le silence des médias et le faible nombre de lecteurs – que c’est aussi dans le champ de la poésie que cela se passe, où la langue française et les représentations sont mises en jeu et en question d’une manière peut-être plus urgente et puissante que dans la prose, grosse machine lourde / lente, vrai moteur diesel d’il y a encore 10 ans. (Arno Bertina, « Sauver le soldat England ? »)