Tu m'avais prévenu trop tôt. Tu m'avertis trop tard. Je ne veux pas mourir ... Je ne voudrais pas. Qu'on me sauve puisque je ne peux plus le faire moi-même.
LE ROI : Les rois devraient être immortels.
MARGUERITE : Ils ont une immortalité provisoire.
MARGUERITE : Il s'imagine qu'il est le premier à mourir.
MARIE : Tout le monde est le premier à mourir.
Le roi :
Non, non. Je sais, rien ne me soulage. Elle me remplit, elle me vide. Ah, la la, la, la, la, la, la.
Vous tous, innombrables, qui êtes morts avant moi, aidez-moi. Dites-moi comment vous avez fait pour mourir, pour accepter. Apprenez-le moi. Que votre exemple me console, que je m'appuie sur vous comme sur des béquilles, comme sur des bras fraternels. Aidez-moi à franchir la porte que vous avez franchie. Revenez de ce côté-ci un instant pour me secourir. Aidez-moi, vous, qui avez eu peur et n'avez pas voulu. Comment cela s'est-il passé ? Qui vous a soutenus ? Qui vous a entraînés, qui vous a poussés ? Avez-vous eu peur jusqu'à la fin ? Et vous, qui étiez forts et courageux, qui avez consenti à mourir avec indifférence et sérénité, apprenez-moi l'indifférence, apprenez-moi la sérénité, apprenez-moi la résignation.
Vous, les suicidés, apprenez-moi comment il faut faire pour acquérir le dégoût de l'existence. Apprenez-moi la lassitude. Quelle drogue faut-il prendre pour cela ?
Vous, qui êtes morts dans la joie, qui avez regardé en face, qui avez assisté à votre propre fin ...
Vous, les morts heureux, vous avez vu quel visage près du vôtre ? Quel sourire vous a détendus et fait sourire ? Quelle est la lumière dernière qui vous a éclairés ?
Des milliards de morts. Ils multiplient mon angoisse. Je suis leurs agonies. Ma mort est innombrable. Tant d'univers s'éteignent en moi.
LE ROI : Je ne suis pas malade.
MARIE : Il se sent bien. (au Roi) N'est-ce pas?
LE ROI : Tout au plus quelques courbatures. Ce n'est rien. D'ailleurs, ça va beaucoup mieux.
MARIE : Il dit qu'il va bien, vous voyez, vous voyez.
LE ROI : ça va même très bien.
MARGUERITE : Tu vas mourir dans une heure et demie, tu vas mourir à la fin du spectacle.
LE ROI : Que dites vous ma chère ? Ce n'est pas drôle.
MARGUERITE : Tu vas mourir à la fin du spectacle.
MARIE : Mon dieu !
LE MEDECIN : Oui, sire vous allez. Vous n'aurez pas votre petit déjeuner demain matin. Pas de dîner non plus. [...]
Il sera une page dans un livre de dix mille pages que l'on mettra dans une bibliothèque qui aura un million de livres, une bibliothèque parmi un million de bibliothèques.
Il n'y a plus rien d'anormal, puisque l'anormal est devenu habituel !
Pourquoi suis-je né si ce n'était pas pour toujours?
MARGUERITE
Il fait froid.
LE GARDE
J'ai essayé de faire du feu, Majesté. Ça ne fonctionne pas. Les radiateurs ne veulent rien entendre. Le ciel est couvert, les nuages n'ont pas l'air de vouloir se dissiper facilement. Le soleil est en retard. J'ai pourtant entendu le Roi lui donner l'ordre d’apparaître.
MARGUERITE
Tiens! Le soleil n'écoute déjà plus.
Le Roi
J'avais glissé, tout simplement. Cela peut arriver. Cela arrive. Ma couronne! (La couronne était tombée par terre pendant la chute. Marie remet la couronne sur la tête du roi.) C'est mauvais signe.
Marie
N'y crois pas.
(Le sceptre du Roi tombe.)
Le Roi
C'est mauvais signe.