Citations sur En camping-car (105)
Surtout, nos balades me montraient que l'histoire n'est pas seulement une leçon dans un manuel scolaire, mais une marche dans la poussière, une quête au soleil parmi les colonnes de temples ruinés, à la recherche de tessons, de plantes, de fibules, d'épaves qui deviendront des preuves au sein d'un raisonnement. Se promener, lire, écrire : la vie idéale. L'historien est quelqu'un qui voyage dans l'espace autant que dans le temps.
La façon dont mes parents ont élu et pratiqué le camping-car illustre le génie de la bourgeoisie à diplômes : le pressentiment que l'essentiel, pour réus- sir à l'école, ne s'apprend pas à l'école. Ces activités "périscolaires" donneront un avantage supplémentaire aux élèves déjà dotés en toutes sortes de capital, sélectionnés par l'institution, bêtes à concours qu'on qualifie pudiquement de « produits de la méritocratie républicaine », et c'est elles qui feront la différence, plus tard, entre le « scolaire » et le « brillant ».
Sans la sécurité économique et la liberté de pensée, d'expression, de culte et de réunion, le développement personnel n'a aucun sens.
Je viens du pays des sans-pays. Je suis de ceux qui traînent leur passé comme une caravane.
Comme le disent fièrement aujourd'hui les autocollants à l'arrière des camping cars, "ce n'est pas une voiture lente, c'est une maison rapide".
Le camping-car était explicitement non consumériste. Il était l’opposé du loisir-marchandise, le contraire des Eurodisney et des center parcs d’aujourd’hui, qui monnaient la liberté : payer pour avoir le droit de s’amuser ou de jouir d’une nature domestiquée.
J’étais heureux parce que mon père n’était plus malheureux à l’idée que je n’étais pas heureux. J’étais heureux parce que mon père l’était, et lui était heureux parce que, acteur et témoin de notre bonheur, il constatait que nous l’étions. L’un était heureux par l’autre. Cette circularité est devenue la perfection de nos vacances et si le reste de mon enfance m’apparaît environné de brouillard, c’est en raison du même mécanisme, mais inversé…
Nous n’étions ni habitants du cru, ni résidents, ni visiteurs, ni touristes, plutôt des voyageurs, des oiseaux de passage. Et notre camping-car n’était ni un camion impossible à manœuvrer, ni une caravane tractée par une berline, ni une équipée sauvage de motards, ni la voiture-balai d’une randonnée sac au dos. C’était quelque chose d’indéfinissable, une sorte de décalage permanent.
Notre bonheur ne dépendait pas des achats (on avait tout à la maison), mais de notre mise à distance de la société de consommation. Les biens n’avaient pas d’attrait, puisque nous les possédions déjà. La simplicité était devenue notre luxe. En ce sens le camping-car était postindustriel.
J’étais libre parce qu’il n’y avait pas de ceinture à l’arrière et que nous nous déplacions dans l’habitacle pendant les trajets
parce que je pouvais flâner dans les musées sans les visiter
parce que je pouvais rester des heures à jouer dans les vagues
j’étais libre parce qu’on campait n’importe où, sur les plages, les débarcadères, les parkings, au bout des jetées, dans les clairières
parce que mon sac de couchage était un vaisseau spatial, avec des manettes et des cadrans intégrés
j’étais libre parce qu’aucun cahier de vacance ne venait prolonger le travail scolaire de l’année
parce qu’une pression se relâchait
l’urgence était suspendue
parce qu’on changeait de destination tous les ans
parce que nos spots ne figuraient sur aucun guide de voyage
et que ça ne coûtait rien de se perdre, l’égarement n’étant qu’un autre chemin.