Grâce à un petit mot de Jérôme Garcin, en fin d'émission du Masque, j'ai eu envie de découvrir ce livre.
Vous avez peut- être déjà oublié Laëtitia Perrais, jeune fille placée en famille d'accueil, avec sa jumelle Jessica, après une enfance massacrée- mère dépressive et père affectueux avec ses filles mais brutal avec leur mère, foyer, et....famille d'accueil- ?
Sa route croise, un triste jour de janvier, celle d'un criminel récidiviste, brutal, violent, mais pas encore un assassin. L'alcool, la drogue, la frustration et la haine le font irrésistiblement partir en vrille : il va la tuer, la dépecer, éparpiller son corps martyrisé dans les étangs du pays de Retz
Le pays de Gilles de Retz , le terrible Barbe-Bleue. Tout un programme.
Encore un fait divers, me direz-vous, avec une mine un peu dégoûtée. Ce n'est pas de la littérature !
D'abord, écrit Ivan Jablonka , historien et sociologue plus que romancier et auteur de nombreux ouvrages savants , « un fait divers n'est jamais un simple « fait » et il n'a rien de « divers » ». Il « peut être analysé comme un objet d'histoire » car « il dissimule une profondeur humaine et un certain état de la société : des familles disloquées, des souffrances d'enfant muettes, des jeunes entrés tôt dans la vie active, mais aussi le pays au début du XXIème siècle, la France de la pauvreté, des zones périurbaines, des inégalités sociales. »
Ce n'est donc pas un récit linéaire , c'est encore moins un roman, et c'est beaucoup plus qu'une enquête: c'est une interrogation profonde, pertinente, et décapante sur l'espace de liberté que nos sociétés inégalitaires, machistes et sur-médiatisées laissent aux petites filles pauvres pour se soustraire à un destin tout tracé de victimes, et sur celui qu'elles laissent aux hommes de bonne volonté pour faire l'exacte lumière sur les actes et les êtres, et pour exercer la justice malgré des pressions populistes émanant du pouvoir lui-même.
Ivan Jablonka a voulu rendre justice aux unes et aux autres, redonner une place à ces humbles enfants battues, ballotées et martyrisées, et montrer l' obstination et la farouche indépendance de ces discrets travailleurs de l'ombre, gendarmes, juges d'instruction,avocats, travailleurs sociaux, à l'écoute des drames énormes de ces vies minuscules.
Que de prédateurs dans cet assassinat sordide : l'assassin lui-même, bien sûr, mais aussi le père biologique, histrion alcoolique et sentimental (mais auteur de brutalités conjugales) , le père d'accueil, vrai Tartuffe et s'avérant, après l'affaire et sa sanctification en père idéal par l'Elysée, un prédateur sexuel sans scrupule qui a honteusement abusé de ses nombreuses « filles » de passage, et, pour terminer, le président de la République, Nicolas Sarkozy lui-même, instrumentalisant l'affaire comme à son habitude pour faire monter la mayonnaise sécuritaire et durcir encore la législation pénale. « Un fait divers, une intervention publique. A chaque crime, sa loi. Un meurtre vient « prouver » les failles du système pénal existant ; la loi qui y fait suite doit « couvrir » tous les crimes à venir". Ce président n'hésite pas à accuser la magistrature de laxisme, à fausser les faits, à forcer les rôles, provoquant , en Bretagne et ailleurs, une fronde des juges sans précédent. Pauvre Laëtitia, « démembrée par un barbare, récupérée par un charognard » titrait Charlie Hebdo…
Pour résumer, dit Jablonka, la mort de Laëtitia est un véritable féminicide : une petite jeune fille de 18 ans en butte aux quatre figures du prédateur machiste : le Caïd toxico et dangereux, le Nerveux imbibé, le Père-la-Morale pervers et le Chef qui joue les « puissances invitantes », « quatre cultures, quatre corruptions viriles, quatre manières d'héroïser la violence »
L'auteur va même jusqu'à se mettre lui-même en accusation, conscient qu'il est lui aussi un homme, après tout, et même une sorte de disséqueur de cadavre et que son livre,qui jette en pâture au public la vie trop brève de Laëtitia, pratique lui aussi sur la jeune fille une forme de violence. Il entreprend avec une grande lucidité son autocritique ainsi que celle du fait divers en tant que tel, et dénonce avec vigueur les « couples » écrivain-criminel célèbres, de Genet-Pilorge à Carrère-Romand.
Il faut, dit-il, que toute la fascination provoquée par le fait divers aille cette fois à la victime.
Car cette analyse sociologique et politique n'est pas seulement intelligente et convaincante, elle est aussi tendre, empathique, bouleversante: l'auteur fait revivre la figure timide de la petite serveuse, sa vie ébauchée, son essor interrompu, avec un très grand respect, une infinie douceur, une grande justesse.
Laëtitia recouvre son intégrité, et le fait divers, dans un tel ouvrage, ses lettres de noblesse.
Un livre formidable de profondeur, d'humanité et d'intelligence. Je recommande plus que chaudement !!
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Laëtitia... Qui aurait pu se douter, qu'un jour, ce prénom porterait le nom d'une affaire ?
Laëtitia Perrais naît dans une famille chaotique : un père peu instruit, alcoolique, violent avec sa femme et ayant fait quelques séjours en prison, une maman dépressive, une situation précaire, une absence de repères. Avec sa soeur jumelle, Jessica, elle sera très vite retirée de ce foyer. D'abord recueillies par leur grand-mère, puis placées en foyer avant d'être admises en famille d'accueil, les soeurs peinent à trouver un équilibre. Chez les Patron, elles semblent pourtant avoir trouver un refuge. Un refuge illusoire ? Elles mènent leur scolarité cahin-caha, sont plutôt dociles, accèdent peu à la culture. Un soir de janvier 2011, Laëtitia sera enlevée. Suivront de courtes mais vaines recherches puisque le coupable, Tony Meilhon, sera arrêté deux jours plus tard. Un homme alcoolique, drogué, voleur ayant effectué plusieurs séjours en prison depuis son adolescence...
Comment expliquer un tel engouement ? Une portée médiatique si importante ? Des unes de journaux et des articles longtemps après ce drame, ce sordide et tragique fait divers ? Comment et pourquoi Laëtitia a-t-elle touchée si profondément le coeur des Français ? C'est ce que tente d'expliquer dans cette enquête l'historien et romancier, Ivan Jablonka. de son enfance à son adolescence malmenées, l'auteur retrace la vie de Laëtitia. Il relate également avec minutie le déroulement de l'enquête et ses retombées judiciaires, politiques et sociales, s'attarde sur le profil non seulement du tueur mais aussi de l'entourage de la jeune fille (père et mère biologiques, père adoptif, Tony Meilhon). Un travail de longue haleine pour lequel Ivan Jablonka a rencontré et s'est entretenu avec Jessica et son avocate, a arpenté le pays de Retz, les lieux du drame, dans le seul but de redonner vie à Laëtitia. Un récit poignant, glaçant parfois. Bien au-delà d'un simple fait divers, une peinture bien sombre de la société française.
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Laëtitia n'a pas eu de chance dans la vie, après une enfance chaotique, elle a fini assassinée par un marginal. Un garçon comme elle, privé dès sa naissance de l'affection indispensable à l'équilibre de tout humain, ce qui n'excuse en rien son crime.
Le triste destin de Laëtitia — pour qui l'Etat a déployé de gigantesques moyens pour retrouver le corps supplicié — nous est raconté avec empathie et rigueur par l'historien-sociologue Ivan Jablonka qui dit avoir choisi comme héroïne « une inconnue légère et vacillante qui n'a hérité de rien, sinon d'une histoire qui la dépasse, celle des bébés qu'on rejette, des gamines de l'Assistance qu'on viole, des servantes qu'on rudoie, des passantes qu'on tue après les avoir consommées. »
Un père alcoolique et violent, une mère qui en perd presque la raison. La vie en foyer, puis dans une famille d'accueil faussement bienveillante ; Laëtitia, sa soeur jumelle et d'autres fillettes y subissent des viols. Enfin, un président de la République, chef de bande qui instrumentalise sa mort pour une politique sécuritaire démagogique. La mort de Laëtitia, un fait divers de plus si on ne sépare le sujet de la vérité de son existence, de ses carences affectives, de la violence masculine qu'elle a subie, du milieu et de la société qui furent les siens.
C'est le travail remarquable accompli dans ce livre par Ivan Jablonka qui, permettant de comprendre ce que Laëtitia a fait et ce que les hommes lui ont fait, donne une dimension universelle au fait divers. Laëtitia n'est restée au monde que dix-huit ans mais a semble-t-il vécu des siècles, son histoire, obsédante et bouleversante, rejoignant celle des femmes martyres victimes de tout temps de la violence des hommes.
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"Laëtitia ou la fin des hommes" est un livre admirable, exemplaire et bouleversant. Mais fragile et délicat. L’historien et écrivain Ivan Jablonka a reconstitué la vie, la mort et l’enquête sur le crime de Laëtitia Perrais. Comme un enquêteur scrupuleux.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Un magnifique récit qui dépasse le fait divers (...) Le lecteur a les larmes eux yeux de voir comment le monde des hommes a pu broyer une innocence.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Un livre miroir de la société française au début des années 2010. Tout y passe: le fonctionnement de la justice, le rôle des politiques et des médias.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Ce livre vise à raconter à la fois une histoire de France et un destin émietté.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Il arrive souvent qu'un lecteur n'ait pas envie de terminer un livre, il est moins fréquent qu'un écrivain fasse tout pour ne pas y mettre un point final. A lire Laëtitia, d'Ivan Jablonka, l'impression est forte d'un auteur en totale empathie avec son sujet et dont la plume se fait volontiers fleurs et couronnes.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Se tenant résolument aux côtés d'une jeune fille martyrisée pour en retracer le destin, l'auteur livre bien plus que l'analyse détaillée d'un fait divers.
Lire la critique sur le site : Telerama
Dans tous ces moments, j'ai été avec Laëtitia , elle ne m'a pas quitté, j'ai cherché des mots pour dire son silence, j'ai mis de la continuité à la place de la déchirure, j'ai essayé de suivre les sentiers de liberté qu'elle s'est frayés dans l’épaisseur du malheur. "Obéissante, mais aussi rebelle."
La vie ne nous a pas réunis. De toute façon, cela aurait été impossible: elle n'est jamais allée à Paris, je ne suis jamais allé à Pornic avant sa mort, elle m'aurait trouvé vieux et barbant, moi je n'aurais pas su quoi lui dire, elle s'intéressait surtout à son portable et à des séries télé que je ne regarde pas, mes questions lui auraient paru sans intérêt. Nous n'avons rien en commun, et pourtant, Laëtitia, c'est moi.
L’affaire Laëtitia révèle le spectre des masculinités dévoyées au XXIe siècle, des tyrannies mâles, des paternités difformes, le patriarcat qui n’en finit pas de mourir : le père alcoolique, le Nerveux, histrion exubérant et sentimental ; le cochon paternel, le pervers au regard franc, le Père-la-Morale qui vous tripote dans les coins ; le caïd toxico, hâbleur, possessif, Celui-qui-ne-sera-jamais-père, le grand frère qui exécute à mains nues ; le Chef, l’homme au sceptre, président, décideur, puissance invitante. Delirium tremens, vice onctueux, explosion meurtrière, criminopopulisme : quatre cultures, quatre corruptions viriles, quatre manières d’héroïser la violence.
Laëtitia et Jessica ont grandi entre mer et campagne, plage et bocage. Elles ont tout connu de la jeunesse périurbaine – (...) les enfilades pavillonnaires comme la route de la Rogère, ni rue de ville, ni route de campagne, plutôt axe reliant des ronds-points ; la maison à un étage avec chambres, véranda et jardin, que les parents ont achetée ou « fait construire » ; l’éloignement de tous les lieux, collège, ville, hypermarché, activités sportives, amis, qui exige qu’on soit accompagné en voiture par les parents et qui justifie, l’adolescence venue, l’achat d’un scooter, instrument d’une liberté inouïe (...) ; l’ennui des petites vacances où l’on traîne ensemble, entre le centre-ville, la chambre des uns ou des autres, la plage ou la forêt, sans oublier le McDo, incontournable lieu de rendez-vous et foyer de sociabilité ; les boîtes de nuit au retour desquelles les jeunes se tuent dans un virage mal négocié.
... pour comprendre un fait divers en tant qu’objet d’histoire, il faut se tourner vers la société, la famille, l’enfant, la condition des femmes, la culture de masse, les formes de la violence, les médias, la justice, le politique, l’espace de la cité – faute de quoi, précisément, le fait divers reste un mythe, un arrêt du destin ...
Nous avons de la distance vis-à-vis de nos morts, alors que la souffrance d'autrui nous happe, nous habite, nous hante, ne nous lâche plus. Pour nous-mêmes, il n'y a plus rien à faire. Notre blessure, c'est nous-mêmes, le drame et la routine de notre vie, notre névrose apprivoisée, et nous y sommes habitués, comme à une infirmité.
Au menu, deux essayistes très attendus de la rentrée : l'historien Ivan Jablonka se penche sur le mythe "Goldman", tandis que la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury s'intéresse aux fondements d'une "clinique de la dignité".
#essai #litterature #jeanjacquesgoldman
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