Cela faisait longtemps que je n'avais pas lu un livre de Jaenada. Il faut dire qu'il publie rarement moins de 800 pages, enchainant les digressions dans les digressions telle une mise en abîme de parenthèses qui s'apparenterait à une forme d'équation littéraire des plus complexes. Bref, il faut rester concentré. 800 pages durant. Mais l'effort en vaut la peine. On se plonge tout d'abord dans un roman noir (un Polard on pourrait croire) qui s'avère être finalement plus proche d'un récit de la petite Histoire, celle du fait divers. le sujet est terrible puisqu'il s'agit de l'assassinat d'un enfant de 11 ans en 1964, celui de Luc Taron, et de celui qui fut jugé pour cela et emprisonné durant 40 ans, Lucien Leger. Jaenada mène l'enquête à rebours du temps (trois ans d'enquête, tout de même, Chapeau) et nous livre par le menu tous les détails de l'affaire judiciaire, en prenant quelques détours par les chemins de son quotidien de narrateur hypocondriaque à la fois cocace et trivial. Il faut cependant rester bien accroché : le compte rendu très détaillé des archives municipales et judiciaires s'étend parfois sur plusieurs (très longues) pages (je me suis revue moi-même dans les salles désertes et glaciales des archives berlinoises à essayer de déchiffrer de longues pages finalement inexploitables pour mon mémoire d'histoire, expérimentant la solitude du chercheur novice (oui je m'essaie ici à l'usage des mêmes astuces de Jaenada (
Philippe De son prénom), mais il est possible que j'y perde une partie de mon lectorat. Peu importe ! Il faut que l'Art advienne avant tout (lol))). Ceci étant dit allons à confesse : j'ai sauté quelques pages, oui je l'admet, car M. Jaenada, c'est parfois très long tous ces détails et on fini par s'y perdre un peu (après une journée de boulot ou avec le bruit de la maison tout autour), alors oui, je triche, je saute des pages, ça me permet de garder l'envie d'aller jusqu'au bout d'un livre digne d'intérêt ( certains coureurs de marathon marchent aussi quelques minutes pour mieux reprendre leur élan, sont ils disqualifiés pour autant? Je ne crois pas(ok, ils ne prennent pas de raccourcis, mais j'essaye de trouver une bonne excuse. C'est raté, tant pis. Mea coulpa)).
Le tout offre un tableau de la nature humaine avec tout ce qu'elle a de glauque, touchant et drolatique (mais glauque surtout). Les courageux et plus endurants lecteurs auront le plaisir, aux alentours des pages 600 de découvrir l'arrière cour de ce fait divers au sombre relan de fascisme - mais stop au spoiler - et Jaennada s'en donne alors a coeur joie.
Malgré tout cela, L'humanisme de Philippe (on a très vite envie de l'appeler par son prénom, je ne sais pas pourquoi) fleure à chaque page, et dénote avec les vies de tous ces tristes sirs et salauds décrits tantôt avec empathie et gentillesse tantôt avec tout le dégout qu'ils méritent, dans le but d'en extraire peut être une sorte de vérité. Si vous ne parvenez pas au bout, il faut au moins aboutir à la page 200. le fou rire est garanti. Et plus loin le portrait de la famille de l'enfant vaut son pesant de cacahuètes, on se demande vraiment comment la police et la justice de l'époque ont pu si mal faire leur boulot. Mais l'Histoire, même la petite, est faite pour cela : rappeler les erreurs du passé pour qu'elles ne soient pas reproduites … alors, pour cela, merci Philippe.