Une jeune péronnelle vivant à la fin du 19 ème siècle en Angleterre, est engagée par un riche lord pour veiller à ses deux neveux, d'environ 8 et 10 ans, Miles et Flora.
Cette préceptrice se tient pour un ange de bienséance et de vertu, cela paraît assez dans ses affèteries.
Miles vient d'être renvoyé sans motif circonstancié d'un collège de jeunes garçons. Il va de soi, du moins pour moi, que l'institution n'a pas voulu coucher par écrit la cause de ce renvoi pour ne pas le perdre de réputation (nous sommes en 1890), lui laissant la possibilité de s'amender ailleurs. La jeune miss ne se rapproche nullement de la direction de l'école, mais, littéralement envoûtée par le charme du garçon (de la fille aussi, mais beaucoup moins, car les filles ne sont que menus fretins), se convainc de sa pureté et du mauvais esprit de la direction du collège. Elle n'entame donc aucune démarche, et ce point de départ faussé lui fournira le terrain propice au développement de ses fantasmes malsains, sans crainte d'être contredite.
Peu après elle aperçoit successivement les fantômes d'un domestique et d'une ancienne préceptrice, tous deux morts peu avant pour causes inconnues. Son sang ne fait qu'un tour (d'écrou ah ah) et elle est certaine qu'il s'agit de démons sortis droit de l'enfer pour s'approprier l'âme des petits gamins (à qui son esprit extravagant attribue une perversité bien au-dessus de leur âge). Elle croit d'ailleurs dur comme fer que le laquais et la préceptrice défunte, liés par un pacte abominable, avaient commencé leur luciférienne entreprise de captation d'âmes de leur vivant.
La pauvre femme au cerveau de plus en plus dérangé surveille de près les enfants, les harcèle de discours brumeux, de questions intempestives et de transports d'affection déplacés.
James a voulu introduire le doute dans l'esprit du lecteur : qui est pervers dans l'affaire, des enfants ou de leur institutrice ? Ça ne fonctionne pas très bien, car il y a quand même des points de repère incontournables, que ses longs raisonnements amphigouriques ne suffisent pas à faire oublier.
Je n'ai pu accorder aucune foi au délire de la préceptrice, et pourtant j'aurais bien aimé ressentir un authentique frisson : ne pas s'informer des causes d'un renvoi, abreuver des enfants d'une affection collante et verbeuse, les espionner et les soupçonner sans relâche, être seule à voir la nuit des fantômes , mijoter des plans inouïs ... Cette femme est folle.
Aurait-elle raison, et ces enfants seraient-ils sur le point de mal tourner, qu'elle ne constituerait pas le moindre des dangers qui les guette.
Ce court roman, pervers et glauque à souhaits, évoque le mal sans jamais le nommer, joue abondamment sur la frustration du lecteur pour le manipuler et égarer son bon sens. Applaudi comme un modèle du genre (exploration de l'inconscient et expression de ce que peut être un transfert), il m'a paru ridicule et indigne du grand
Henry James.
Le style est ampoulé, filandreux, davantage dix-huitième que fin dix-neuvième ou début vingtième siècle, ce qui est curieux pour la littérature anglophone, d'habitude si moderne dans ses tournures. Cela tient-il à la traduction de Jean-Maurice le Corbeiller ? J'en doute car James lui-même fait référence dans ce livre aux romans licencieux du dix-huitième siècle qu'il semble vouloir parodier.
Matthieu Gregory Lewis écrivit un siècle plus tôt un roman gothique bien plus crédible, "Le moine". Pas de comparaison entre les deux oeuvres. "Le moine" est supérieur.