Les ambassadeurs

Roman vertigineux dans son approche narrative et dans son abord stylistique. Sa méthode peut-être impressionniste, associe la célébration d'un Paris du début du XXème siècle, la consécration de personnalités sophistiquées, complexes, centrées sur elles-mêmes, l'éloge d'un certain cynisme inclus dans des décisions jamais prises à la légère.

Lambert Strether, 55 ans, qui dirige une revue littéraire américaine, arrive à Paris en ambassadeur d'une mission élaborée à Woollett, Massachussets, par sa future épouse, Mrs Newsome : celle-ci, une riche veuve, est la mère de Chad Newsome, jeune homme que Strether doit ramener aux USA pour poursuivre sa direction d'entreprise, un trop long séjour à Paris risquant de le corrompre.
L'Europe est vécue comme un berceau pour les plaisirs, les débauches, un lieu d'envoûtement de perdition, au contraire de l'Amérique où trône le sens du travail, du devoir, de la religion.

Lors d'une escale à Londres, Strether a rencontré Maria Gostrey, une femme libre associant finesse d'analyse, habileté et une certaine malice dans ses finasseries. Elle ne le quittera plus, sorte de refuge apaisant dans ses interrogations, un double à qui il refusera cependant une demande en mariage.

À Paris, Chad ramène d'un voyage Marie de Vionnet et sa fille Jeanne : ni Strether ni le lecteur ne sauront avant un certain temps à qui Chad est lié des deux, Marie étant bien plus âgée que lui, et mariée, bien que séparée. C'est pourtant cette dernière qui sera l'élue, tandis que Jeanne fera l'objet d'un mariage arrangé auquel elle se pliera volontiers, illustrant là l'attachement d'Henry James pour les conventions.
Madame de Vionnet, quant à elle, est amoureuse, inquiète des décisions que prendra Chad, vivement appelé par sa mère à rentrer au bercail outre-Atlantique.

Quoi qu'il en soit, nous assistons aux tergiversations infinies de Strether, lui-même sensible au charme de Madame de Vionnet, mais dont le trait majeur de la personnalité est une certaine timidité, un manque de confiance, plus à l'aise dans l'écoute que dans l'action. C'est lui pourtant qui, conquis par Paris, conseillera à Chad d'y rester. En contradiction avec la mission de la soeur de ce dernier, dépêchée de Woollett avec sa famille, nouvelle ambassadrice pour le retour de Chad, qui se prend à considérer que Madame de Vionnet tire les épingles du jeu en se faisant tentatrice : une femme fatale, une ennemie absolue. Alors qu'elle est en réalité aimable, bienveillante et dépendante.
Chad finit par céder, abandonne Madame de Vionnet, éperdue, pour reprendre les rennes de sa firme américaine, et Strether lui emboîte le pas, laissant là Maria Gostrey, résignée.
Tout rentre dans l'ordre, le sens du devoir, en particulier conjugal pour Strether, l'attrait pour la sécurité financière pour Chad, ont eu raison des sentiments de l'un et de l'autre.
Reste le style particulier d'Henry James, style allusif, elliptique, laissant trop souvent le lecteur dans le doute, l'expectative, le questionnement : qui parle ? de qui parle-t-on ? que faire de ces abstractions, ces idées hermétiques, ces concepts fumeux ? J'ai parfois mis l'ouvrage de côté et eu du mal à reprendre ma lecture, à la fois subjugué par l'atmosphère éthérée, mystérieuse du roman, et agacé par son accès pénible, son exploration laborieuse.

Un roman subtil construit sur une intrigue d'un extrême simplicité, mais qui est malgré tout d'une grande complexité psychologique. Tout est dans l'atmosphère. Henry James entretient l'ambiguïté de bout en bout pour nous laisser aussi désorienté que son personnage.