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Critique de Charybde2


Une incroyable odyssée affirmée comme tranquille au long du fleuve Congo. Un modèle de littérature voyageuse qui ne s'en laisse pas conter.


Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/08/15/note-de-lecture-le-baobab-de-stanley-guillaume-jan/

Certaines oeuvres naissent d'une matrice identifiable, d'un creuset originel qui détermine avec une force fondamentale ce qui suivra – jusqu'à ce qu'un éventuel point d'inflexion majeur vienne surprendre et brouiller les cartes, le cas échéant. Pour les beautés inattendues d'un vagabondage en sandales aux objectifs modifiés en cours de route de « Traîne-savane » (2014), pour les étrangetés poignantes et les dévouements impossibles de « Samouraïs dans la brousse » (2018) et pour l'invention d'une mythologie des coïncidences entre Finistère, Balkans et Afrique profonde de « Alias Lejean » (2022), « le Baobab de Stanley », publié en 2009 chez Bourin, joue ce rôle de point d'ancrage, cette balise rare qui dessine d'emblée les contours d'une littérature de voyage différente.

De cette traversée de l'Afrique sub-équatoriale d'Est en Ouest, sur les (presque) traces (involontaires) de Stanley, Guillaume Jan, routard s'il en est là où il n'y a guère de routards, justement, se garde bien d'extraire quoi que ce soit qui puisse ressembler à une épopée touristico-exploratoire ou à un surplomb assuré de savant du lieu. Traçant opiniâtrement son chemin mouvant comme en se jouant des innombrables aléas, armé d'une patience à toute épreuve et d'un sens de la bienveillance qui engendre par moments comme sa propre bulle protectrice autour de lui, il avance. Évitant toujours (presque sur le fil parfois) les mauvaises rencontres et n'en conservant que les bonnes (quitte à les rendre telles), il se faufile dans une succession de régions parmi les plus déshéritées et troublées qui soient (encore ignorant heureusement alors de certains dangers nés de l'avidité des hommes, qu'il maîtrisera mieux dans ses échappées ultérieures – et saura alors contourner lorsque nécessaire). S'il en profite pour brosser un portrait de Stanley rendant une certaine justice aux ambiguïtés sans fin du personnage, il ne glisse à aucun moment vers l'ouvrage d'historiographie comparée, et reste modeste, dans ses comportements au quotidien comme dans le maniement de sources livresques postérieures. On songera certainement plusieurs fois à cette placidité inébranlable, ajoutée à une discrète capacité d'émerveillement, qui constitue la tonalité dominante du beau documentaire cinématographique « Congo River » (Thierry Michel, 2006) : le fleuve Congo, malgré sa rudesse indéniable, peut ainsi être apprivoisé sans l'avoir vraiment cherché.

Évitant tous les pièges de la littérature de voyage (tels que les soulignait l'Emmanuel Ruben de « Dans les ruines de la carte », avant d'en proposer une joueuse mise en abîme dans « Sur la route du Danube »), se tenant à une saine distance de l'infâme contre-exemple proposé bien malgré elle (on le suppose) par Erika Fatland, mais se défiant aussi de la quête trop exacerbée de la formule « poétique » – à laquelle le Jean-Paul Kauffmann de « L'Arche des Kerguelen » n'avait pas su totalement échapper en 1993, avant de nous éblouir, par exemple, avec la sublime obsession de son « Venise à double tour » en 2019 -, évitant – comme Julien Blanc-Gras sait aussi si bien le pratiquer, dans « Briser la glace » ou dans « Dans le désert », entre autres -, l'observation non-participante et largement blasée, Guillaume Jan nous montre ici en beauté et en simplicité le discret équilibre réussi entre ce qui se passe à l'intérieur et ce qui environne (jouant ainsi aussi bien de la fausse tranquillité du Vassili Golovanov de « Éloge des voyages insensés », qui habitera d'ailleurs certains exergues ultérieurs de l'auteur, que du formidable bouillonnement électrique du Philippe Jaenada de « Plage de Manaccora, 16 h 30 »), et nous prouve sans forcer que « voyageur naturel » n'équivaut pas tout à fait à « simple voyageur », pour nos délices de lectrice ou de lecteur.

Lien : https://charybde2.wordpress...
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