Contre l'aveuglement à la pluralité des sociétés, contre les visions « préservationniste et nativiste »
Quelques propositions, regroupement d'idées travaillées dans diverses autres notes de lecture, en dialogue avec les textes du dossier sur les « Nationalismes sexuels ».
a) A travers le monde, les configurations des rapport sociaux de classe, des rapports sociaux de sexe (système de genre), des processus de racialisation, des hiérarchies construites économiquement et socialement ne se présentent pas sous les mêmes formes, n'ont pas les mêmes traits. Il y a par conséquent toujours simplification lorsque l'on utilise des termes, des catégories, des identités, hors de leurs significations historiquements et socialement situées.
b) Les rapports de pouvoir, d'exploitation, de domination réellement existants ne font pas que s'additionner ou se superposer et ce quelle que soit la définition choisie : intersectionalité (Kimberle Crenshaw), coextensivité et consubstantialité (
Danièle Kergoat) ou coformation (
Paola Bacchetta). Dans tous les cas, il ne saurait être question de hiérarchisation des oppressions.
c) Ici et maintenant, dans le « monde occidental », l'égalité entre les êtres humains n'existe pas, prédominent les exploitations, les dominations et les hiérarchies. Lorsque les représentant-e-s des États, des institutions du « monde occidental » critiquent les politiques envers les femmes, les gays, etc. dans les autres pays, elles et ils oublient volontairement les inégalités structurelles entre hommes et femmes, le sexisme, l'hétérosexisme, pour en rester sur ces sujets, qui structurent nos sociétés. La valorisation a-critique de « nos démocraties » est à la fois hypocrite, et peu à même à favoriser la construction d'une alternative hégémonique d'émancipation, majoritaire et inclusive. En tant que citoyen-ne-s de ces États, nous devons combattre pour l'égalité, ici et maintenant, et pour l'auto-organisation des populations et des groupes dominées.
d) En effet, ici ou ailleurs, la libération, l'émancipation des opprimé-e-s sera l'oeuvre de celles-ci et de ceux-ci, par leur activité propre, suivant des calendriers et des modalités qu'elles et ils choisiront. Leurs auto-organisations prendront des formes variées, voire hybrides et probablement des formes de non-mixité, en fonction des dominations.
e) Si l'universalité des droits, individuels et collectifs, ne se décrètent pas, mais se construit, subordonner des luttes spécifiques de dominé-e-s à des fronts principaux, ou nier leur actualité, ne permet pas de répondre au caractère consubstantiel des rapports sociaux, pour utiliser une formule d'
Alexandre Jaunait,
Amélie le Renard et
Elisabeth Marteu dans leur introduction.
f) Si des identités sont façonnées par l'impérialisme, le capitalisme, le patriarcat, elles ne s'y réduisent jamais, ni ici ni ailleurs. Des groupes de dominé-e-s peuvent s'en saisir ou non, ce n'est pas à d'autres, dominé-e-s ou non, au nom de traditions toujours (ré)inventées, de priorités (définies par qui ?), ou pour tout autre motif de leur dénier leur présent de mobilisation, contre les répressions, autour de ces identités réelles ou imaginées.
g) Quelle que soit notre appréhension des processus de subjectivation, de la notion même d'individu-e, les êtres humains sont « une production de part en part sociale » (voir le dernier livre de
Bernard Lahire :
Dans les plis singuliers du social. Individus, institutions, socialisations, La Découverte – Laboratoire des sciences sociales, Paris 2013)
h) Les catégories permettant de penser les réalités, comme la sexualité et sa « division » en hétérosexualité et homosexualité, sous forme d'inclinaison, d'identité, de structuration sociale, de repères, etc. sont récentes et ne sauraient être appréhendées hors de l'histoire et de leurs effets matériels, ici et ailleurs. La binarité, l'altérité sont des constructions sociales tout à fait critiquables. Il en est de même du « privé », construction sociale et historique qui ne peut être pensé qu'en termes politiques.
i) Toutes ces questions se posent à la fois de manière différente et potentiellement unifiée à travers le monde. Cela a quelque chose à voir avec le développement inégal et combiné du mode de production et de reproduction dominant, de ses déclinaisons inscrites dans des contextes spécifiques mais néanmoins hiérarchisés et interdépendantes.
j) Si les « homosexuel-le-s », si les « lesbiennes », si les « gays », (auto)défini-e-s ou non comme tel-les ou par les autres, le sont et ne les sont pas de la même façon à New-York, Paris, Alger ou Bombay, la non-appartenance revendiquée, subie, stigmatisée, etc., à la « communauté majoritaire hétérosexuelle » engendre des effets matériels pesants, du dédain à la peine de mort…
Parler d'être humains c'est toujours parler de relations sociales, d'oppression et d'exploitation ; c'est toujours parler des un-e-s en relation à d'autres. Et la construction d'un-e « autre » contre l'un-e essentialisé-e est toujours potentiellement stigmatisante et porteuse d'une naturalisation des « différences » qui ne le sont que socialement.
Alexandre Jaunait,
Amélie le Renard et
Elisabeth Marteu, dans leur introduction « Nationalismes sexuels ? Reconfigurations contemporaines des sexualités et des nationalismes, écrivent : « de nombreux travaux ont en effet montré que les nationalismes, dans leurs processus de construction, s'appuient sur des stéréotypes de genre et de sexualité. Ils ont historiquement contribué à la production d'identités sexuelles qui ne se développent pas de façons spontanée, comme des espaces de subjectivités autonomes renvoyant à des réalités sociales "en soi". »
Elles et ils indiquent : « Ce numéro de Raisons politiques a pour ambition de mettre le concept de nationalisme sexuel à l'épreuve de différents contextes nationaux et types de frontières, tout en présentant quelques pistes de réflexion ouvertes par les controverses qu'il suscite et alimente ».
Leur texte est subdivisé en plusieurs parties : « Des nationalismes sexuels d'hier à ceux d'aujourd'hui », « Vers les controverses de l'impérialisme sexuel et de l'homonationalisme », « L'imposition internationale/transnationale de catégories sexuelles hégémoniques ? », « Effets de circulation : confrontations et interactions » et « Dualité des discours ».
Si « les campagnes destinées à sauver les « Autres » peuvent participer à la légitimation de projets violents, condescendants et impérialistes », il ne faudrait cependant pas oublier les revendications de certain-e-s, la nécessite de « saisir in situ les formes d'organisation des luttes menées par des minorités sexuelles ».
Et pour conclure cette introduction aux débats, les auteur-e-s soulignent que « Au-delà des effets de domination d'un nouvel impérialisme sexuel,les formes d'identification de même que les mobilisations des minorités sexuelles relèvent des processus d'appropriation et de production de discours contre-hégémoniques qui méritent d'être davantage exploités ».
Un riche dossier. Je signale que le texte de Gianfranco Rebucini me semble très contestable, comme celui de
Joseph Massad paru dans la Revue des livres. En complément, j'invite à lire le bel article de Jean Louis Touton : Lutter contre l'homophobie, c'est lutter contre l'impérialisme
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