Citations sur Une femme que j'aimais (81)
C'est un des plaisirs les plus innocents des vieux dans l'antichambre de la mort de constater qu'ils en enterrent de plus jeunes.
Les enfants n'ont pas à demander raison des actes de leurs parents. Les parents ont vécu, c'est tout. Les enfants feront de même, de leur mieux.
La frite est à l’homme libre ce que l’hostie est au dévot.
« La grande portion ou la petite, Claude ?
— La géante, Nunzia ! »
Nunzia m’a souri comme à un champion et s’est retournée vers le long bac rempli de candidates mises en condition par une première cuisson modérée. À l’aide de son écumoire, elle a garni le panier du quota exact de la portion géante, l’a plongé dans la cuve bouillonnante, et s’est mise à le secouer afin d’envoyer les récalcitrantes agglutinées les unes aux autres se dorer les quatre faces en solo. Les quartiers supérieurs que les bretelles en X de son tablier découpaient dans son dos plantureux tressautaient gaiement sous sa blouse. Le staccato du panier enchantait mes oreilles.
Je ne sais si Dieu répond à certaines personnes quand elles s'adressent à Lui mais, à moi, Il a toujours battu froid. Pas le moindre signe d'attention. Pas même une fin de non-recevoir : je m'en serais contenté. Rien. En conséquence, nous avons rompu, tous les deux.
Emporter un sachet de frites bien chaudes au creux d’une main, les manger dans la rue avec les doigts de l’autre main en faisant des mouillettes dans la motte de mayonnaise accrochée au coin supérieur du papier, c’est un des plaisirs les plus intenses que l’on puisse s’offrir et, même, un acte de foi dans l’existence. Les déprimés, les élégants, les prétentieux – toutes personnes qui grignotent la vie du bout des dents – ne mangeront jamais de frites sur le trottoir. Il n’y a que les optimistes pour se livrer en public à cette manducation jubilatoire. La frite est à l’homme libre ce que l’hostie est au dévot.
Le meilleur de l'amour, n'est-ce pas quand on ne s'est pas encore déclaré, avant l'évidence des sentiments, lorsqu'on guette chez l'autre les signes de ce que l'on ressent soi-même ?
La vie, la plupart du temps, est totalement dépourvue de pittoresque. Elle s'éloigne rarement des sentiers battus. Plus on est banal, plus on est vrai.
J'ai passé le reste du samedi et du dimanche au bord de l'Ornale. Je trempais ma ligne machinalement. La dernière chose dont je me souciais, c'était d'attraper du poisson. Par l'effet de la loi de la vexation universelle, j'en ai rarement autant pêché. Une dizaine de truites, et toutes à la dimension réglementaire. A croire que la rivière était en proie à une vague de suicides.
Elle avait lu un tas de livres, les romanciers catholiques surtout, Bernanos, Mauriac, Green, que je n'ai découverts que bien après, quand personne ne les lisait plus, vu qu'il avait été décidé alors que le talent et l'intelligence étaient réservés aux athées.
Autour de la soupière, l'atmosphère était souvent lourde. La pêche, les champignons, je n'avais rien de mieux à faire pendant mes loisirs ? J'aurais pu, au moins, aller au bal de la jeunesse, le jour de la ducasse de Vieusart. J'avais beau expliquer que j'étais trop vieux : les fiancées potentielles étaient des gamines de quatorze ans, qui se fagotaient dans des robes comme des peaux de saucissons, façon Eva Herzigova. Malheureusement, on n'avait pas inventé le "push-up" pour le cerveau.