Mais en vérité, Alma, Jean et Billie formaient comme les trois notes d'un accord parfait, ou comme les trois couleurs primaires.
Alors qu’Alma s’étend sur le lit, elle ne voit pas la biche s’approcher de la fenêtre. Immobile, son pelage crème fume légèrement dans l’obscurité. Son odeur poisseuse de sang, de musc et d’herbes embaume la nuit. Écrasant de ses sabots hésitants un bouquet de chardons, la biche contemple la scène de ses grands yeux doux. Alma dort enfin, dans la chambre de pénombre et de braise.
On n'entre pas facilement dans le malheur des autres, il est comme un bois trop sombre, une terre dévastée et lointaine pleine des grincements de la nuit.
A quoi peut bien servir la beauté ? se demande-t-elle. A rien. Et cela lui met les larmes aux yeux. [...] La beauté ne sert à rien, et pourtant, elle console de quelque chose qu'on ne sait nommer. Alma pense alors à ces architectes du XIXe qui se sont cassés le cul à décorer leurs édifices de guirlandes de stuc, de fleurs de pierre, de balcons de fer forgé aux arabesques complexes. Pourquoi ? Pour rien. Pour faire beau. Pour donner de la joie au regard. Elle déplore qu'aujourd'hui rien ne soit plus fait d'inutile.
Avant de quitter la pièce,Alma s'est contemplée dans le miroir de verre dépoli accroché prés de la fenêtre.Elle s'est souvenue qu'elle ne peut soutenir son propre regard longtemps sans en éprouver un long frisson.
Quand donc vont_ils sortir de ce marécage,tous les trois?L'histoire a -t-elle démarré,où en est -on exactement?
Confusément, Alma se sent responsable du mal de Billie. Elle se demande si la mélancolie infuse souterrainement et contamine ceux que l’on aime. Billie et elle sont si proches, depuis toujours. Billie sent tout, Billie sait tout, devine tout de sa mère. Elles se mélangent comme du lait dans de l’eau, formant un même nuage.