L'avantage de l'obscurité, c'est qu'elle ne connaît pas l'ombre.
Je sais que les enfants ne sont pas censés se souvenir de leurs premières années, mais se souvenir est une chose, ressentir en est une autre.
Elle s'était habituée à la solitude, autant qu'il était possible, mais rien ne pouvait vraiment remplacer la compagnie d'un autre être humain.
L'Islande était supposée être une société sans classes, où tous étaient égaux et avaient les mêmes chances de réussir. Mais c'était un mythe ; elle n'échapperait jamais à sa condition de mère célibataire d'un milieu pauvre, condamnée à des jobs mal payés sans aucune sécurité. Pas une seule chance de s'en sortir, non.
C'était sans doute ça, le pire : n'avoir personne qui se préoccupe de soi.
- Il avait quel âge, environ ?
- Difficile à dire. Un gars normal. La quarantaine, peut-être. Plus vieux qu’elle.
- Vous avez vu sa voiture ?
- Ah ouais ! Un gros tout-terrain. Les mecs dans son genre conduisent tous des 4x4 comme ça. Noirs, en général.
Elle ne s'en lassait jamais. Tous ces sommets qu'elle avait conquis, en son temps : Esja, Skardsheidi, Akrafjall. Leur beauté époustouflante avait sur elle un effet rassérénant, apaisant, et la ramenait à quelques-uns des moments les plus heureux de sa vie. Mais elle convoquait aussi la vision d'Elena, balayée par les flots dans la crique. Ainsi la mer donne, ainsi la mer reprend.
Son jugement n’était cependant pas infaillible. Dans un cas précis, il lui avait même lourdement fait défaut… Et cela avait été sa plus grande erreur, une erreur qui avait changé sa vie pour toujours.
La neige crissait sous ses pas, d’une perfection seulement troublée par les empreintes qu’elle laissait derrière elle.
C’était sa neige, à elle et à personne d’autre. Son regard balayait un décor d’où toute trace humaine était bannie : un paysage désert s’étendant jusqu’à l’horizon. Ils étaient absolument seuls.
Si Hulda ne saisissait pas cette opportunité, personne n’irait jamais au bout de l’énigme. L’histoire d’Elena sombrerait dans l’oubli. Et resterait à jamais celle d’une fille venue en Islande pour y mourir.