Carton ou l'histoire d'un libraire qui se transforme en carton

Parfois, à trop traîner le soir, tout libraire doit très précisément ressentir cette peur bleue là, la peur que le papier le prenne et que le carton l'avale, qu'à force de les fréquenter, d'y baigner à longueur de journée, à force d'en humer les modules et de le rendre à bras-le-corps, il finisse par se confondre à la chose. Que voulez-vous, toute profession a ses petites phobies...

Le succès chamboule tout mais ne fait pas vraiment mal.

La rançon de toute gloire, c'est ce devoir de représentation qu'elle suppose, cette part d'humilité à laquelle on doit renoncer.

Pure comédie que la représentation de soi, comme la poire à l'étal ou le gigot au stand, mais après tout c'est moral que l'acheteur ait toutes les cartes en main au moment de se décider, aussi bien pour la prose que pour le produit d'entretien. C'est un bien grand pas que l'humanité fait là, en proposant chaque jour de nouveaux supports d'épanouissement possible.

Restait le problème de la clientèle qui n'achète pas, des êtres pas trop en phase qui consomment sur place, des rêveurs qui butinent sur pied, des lymphatiques qui s'envoient le chapitre entier et reposent le machin, sachant que pour le suivant ils reviendront demain. Il faudrait à l'avenir songer à rentabiliser ça..! Mais ici n'est pas le lieu de la revendication.

Dans la vie, la réalité de la situation et nos aspirations profondes sont rarement coïncidentes...et alors; so what comme disent les Anglais...Rien ne doit nous décourager, jamais... vous m'entendez; jamais...
C'est rassurant de s'entendre parler comme ça, de sentir face face à soi un homme où la peur n'a pas sa place, la peur pas plus que l'indécision.

La plupart du temps, il arrivait que des livres partent tout seul, que les clients se jettent dessus comme sous le coup d'un ordre, procédure idéale où il n'y avait même plus à endurer la présence toujours un peu glaçante des hésitants dans l'univers de la librairie.
Rien n'est pire que le client plus ou moins à l'affût, plus ou moins dangereux, avec pour arme absolue le coup de la question-piège, celle qui foudroie par effet imprévu.

Restait le problème de la clientèle qui n'achète pas, des êtres pas trop en phase qui consomment sur place, des rêveurs qui butinent sur pied, des lymphatiques qui s'envoient le chapitre entier et reposent le machin, sachant que pour le suivant ils reviendront demain.