"Ce qui nous rattachait au Suriname n'avait le plus souvent pas d'existence, mais même quand cela existait, le silence régnait. Et malgré ce silence, un appel nous parvenait."
Qu'est-ce qui rattache
Raoul de Jong - né et grandi à Rotterdam avec sa mère néerlandaise - qu'est-ce qui pourrait bien le rattacher au Suriname ?
Son père absent, rencontré à 30 ans pour la première fois ?
De ce père jovial mais qui oublie leurs rendez-vous... il n'attend rien.
Sa couleur de peau, sa nature de cheveux ?
Ça oui, ça le tracasse, surtout quand les mamies assises devant lui dans le tram "serrent contre elles leur sac à main".
Sa quête d'identité ? Son histoire familiale ?
Là, on est sur une piste.
"Malgré ce silence, un appel nous parvenait."
Silence sur l'histoire du Suriname, l'extermination des Arawaks, l'asservissement des personnes capturées en Afrique, au profit des plantations anglaises, puis hollandaises.
"Les agissements des Néerlandais au Suriname ne constituent qu'une partie de l'histoire (…) Il en existe une autre, qui est presque aussi longue, et dont les Néerlandais sont les figurants, et non les personnages principaux."
Appel que l'auteur va entendre, silence qu'il va explorer dans les livres et dans un voyage de trois mois, guidé par la légende de l'Homme-jaguar, sur les traces de ses propres ancêtres : Indiens, esclaves, marrons.
"Le musée de Christine ne m'a pas appris comment un être humain se transforme en jaguar, mais j'y ai compris autre chose (…) : vous n'étiez pas qu'un corps à votre arrivée au Suriname. Vous étiez porteur d'une culture et vous avez trouvé des moyens de la préserver."
Ce que l'auteur a compris tient dans ce livre. C'est d'abord un ouvrage documentaire avec une grosse bibliographie. Mais c'est également le récit très personnel, introspectif, d'un homme tiraillé entre deux identités, ému de découvrir non seulement ses racines indiennes et africaines, mais aussi que ces racines, au Suriname, sont toujours vivantes.
J'ai beaucoup aimé l'écriture, pleine de surnaturel mais également d'humour – notamment lorsqu'il se décrit en touriste à l'aventure dans la jungle, quand il entame un rite de purification (essentiellement un régime sans sel), ou dans ses aphorismes : "Quand on a l'impression qu'il y a un lien entre deux choses, c'est qu'il y en a un."
Tout du long le livre est ponctué de beaux portraits des personnes rencontrées, réalisés par l'auteur et Elizabeth Tomasetti.
Traduction sans faille par
Myriam Bouzid.
Challenge Globe-trotter (Suriname)
LC thématique juin 2023 : "L'auteur est un homme"