«
La nuit des pères » est ma seconde rencontre avec
Gaëlle Josse après mon coup de coeur pour «
Une longue impatience ». C'est avec une écriture délicate, pleine de sensibilité que l'auteure nous plonge dans l'intimité d'un foyer, marqué par la dureté d'un père taiseux et coléreux.
« Tu ne seras jamais aimée de personne.
Tu m'as dit ça, un jour, mon père.
Tu vas rater ta vie.
Tu m'as dit ça, aussi.
De toutes mes forces, j'ai voulu faire mentir ta malédiction. »
Chacun porte au plus profond de son coeur des blessures invisibles qui peinent à guérir, des cicatrices indélébiles qui peinent à se dissimuler.
Pour se protéger, Isabelle s'est détournée de ce père irascible, dont les mots, effilés et tranchants comme des lames de rasoir, ont meurtri la petite fille en recherche d'amour qu'elle était.
"C'était ça ou mourir étouffée, enterrée vivante sous tes emportements, cernée de montagne, loin du monde que je désirais tant découvrir."
Son père était passionné par la montagne, elle a décidé de vouer sa vie à l'océan.
La montagne est à l'image de ce père, terrible, sombre, inaccessible, écrasante.
L'océan est à l'image d'Isabelle, indomptable mais fragile.
*
Le récit débute lorsque son frère, Olivier, l'appelle pour lui demander de venir auprès de son père dont les problèmes de santé s'aggravent.
"Ce serait bien que tu viennes, depuis le temps. Il faut qu'on parle de papa."
Elle promet.
Comme elle aimerait revenir sur sa parole, oublier cet appel, tellement cette rencontre l'angoisse, la terrorise, mais une promesse est une promesse ! Et puis, de toute façon, elle ne peut continuer à souffrir de cette absence, de ces silences si violents, de ce sentiment de transparence, de ce vide qui l'habite depuis sa tendre enfance.
Face à ce père qui ne la voyait pas, elle s'est affermie, révoltée, endurcie, devenant dure comme une statue de pierre.
Mais cette froideur apparente ne peut cacher les fêlures intimes.
Depuis trop longtemps, elle souffre, ressassant de sombres pensées.
Depuis trop longtemps, elle se dérobe.
« … un jour ou l'autre, il faut bien arrêter de fuir. »
Alors, elle décide de faire volte-face et de partir à la rencontre de ce père haï, aimé, craint, fui.
« On ne sait rien des autres, accepte-le… »
*
«
La nuit des pères » est un huis-clos dont les mots explosent, irradient de douleur. Des mots pour exprimer également que l'essentiel d'une personne demeure invisible aux yeux d'autrui, que presque tout se passe à l'intérieur. Parfois, un regard, même furtif, peut en dire long sur l'autre. On peut y lire une souffrance, une grande solitude, un appel à l'aide. C'est ce que j'ai vu dans le regard de ce père.
J'ai été touchée par cet amour qui était là, tapi, enfoui et qui ne demandait qu'à s'exprimer, mais qui n'arrivait pas à s'extérioriser par des paroles et des gestes.
Gaëlle Josse parvient à décrire l'intime, les manques, les peurs, la lassitude, le remord, la tendresse et surtout la difficulté de se construire ou de se reconstruire.
« Ton père a une épine dans le coeur, Isabelle, ça l'empêche de vivre et ça le rend invivable, c'est tout. Il y a eu de la bonté en lui, j'en suis certain. Un jour tu feras la paix. Voilà ce que Vincent m'avait dit un jour sur toi. Il ne parvient pas à traverser sa propre nuit, avait-il ajouté. »
*
La maladie, la séparation, la tristesse, la mort et le deuil sont des thèmes difficiles à aborder, et l'auteure a réussi à dresser des portraits attachants sans jamais tomber dans le pathos.
« … nous le savons tous les deux que ça ne veut rien dire, faire son deuil, que c'est une expression pour les magazines, on continue à marcher avec nos morts sur les épaules, avec nos ombres, et rien d'autre. Nous le savons que, chaque matin, il faut se rassembler, se lever, se mettre en marche, quoi qu'il en coûte. Que la douleur est un archipel dont on n'a jamais fini d'explorer les passes et les courants. Qu'elle est inépuisable. Lente, féroce et patiente comme un fauve. »
La souffrance de cette petite fille est palpable. Il y a les silences, le manque d'amour et d'affection, les regards, et par dessus tout, la violence des mots qui jaillissent, fulgurants, acérés, destructeurs. Néanmoins, j'ai trouvé que l'auteure se murait dans des souvenirs d'enfance qui induisaient des émotions redondantes.
Du coup, il m'a manqué également plus de profondeur dans l'analyse des sentiments, des états d'âme.
En effet, dans ce récit, on a surtout le regard blessé d'Isabelle.
La voix du frère se fait entendre, mais il nous tait ses souffrances intimes, le climat familial pesant, ainsi que sa propre relation avec son père.
La voix de la mère, conciliante, douce qui cherche à temporiser, à apaiser à sa manière parait presque inexistante. J'aurais aimé mieux ressentir ces sentiments et ses émotions face à ces crises.
« La patience de maman, toujours interposée entre nous et toi, maman tampon, maman buvard, maman bloc de mousse. »
La narration de ce père meurtri est un beau passage, mais puisque tout tourne autour lui, j'aurais aimé mieux comprendre à travers sa voix ce qu'il ressentait vis à vis de sa famille, de sa vie, de son passé. J'aurais aimé qu'il me parle de son besoin de partir seul en montagne, qu'il s'exprime davantage quant à son comportement à l'égard de ses enfants, de sa femme.
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Pour conclure, «
La nuit des pères » est un roman sensible, touchant, écrit d'une jolie plume poétique.
L'auteur dessine de jolis portraits qui se dévoilent lentement par l'évocation de souvenirs souvent conflictuels et douloureux. Mais une alternance des points de vue de chaque membre de la famille aurait peut-être permis d'éviter les répétitions.
Ce n'est bien sûr que mon avis, et j'espère que l'auteure ne m'en voudra pas pour ma sincérité. Je vous engage à lire les autres critiques qui sont excellentes et surtout à découvrir par vous-même ce court roman pour vous faire votre propre avis.