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sur 1170 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Quel bonheur de retrouver la plume et la noirceur de Gaëlle Josse, oui sa plume noire si singulière, celle qui a su déjà avec « Une longue impatience » m'étreindre pour ne plus me lâcher, celle qui trace des mots nerveux et authentiques, des mots vrais et à vif, en creusant des ombres violines de plus en plus brunes au fil du récit. Ondes concentriques autour d'un centre névralgique qui fait surface peu à peu. Croute grattée au sang jusqu'à la prochaine cicatrisation.
Si « Une longue impatience » dressait un formidable et troublant portrait de femme écorchée vive, c'est le père, cette fois, qui est au centre des attentions. le père dont la nuit étend ses couleurs sombres et son emprise sur la famille. Cendres pétrifiantes sur âmes rose tendre.
Je trouve la couverture du livre à ce propos très bien choisie, la vision de cet homme surplombant et avançant malgré tout sur cette masse sombre, compacte, un obstacle à franchir ce passé trouble, fardeau pour tous.

Héritons-nous toujours de la nuit de nos parents, de leur part obscure, de leurs secrets inavoués, de leur part non révélée ? Est-ce dans nos gènes, dans la singularité des dysfonctionnements propres à chaque famille, dans ce que nous ressentons intuitivement sans pouvoir le nommer, dans ce que nous haïssons parfois et subissons, usant nos forces toute notre vie à créer une histoire à contre-courant, en opposition ? Chacun d'entre nous y réagissons de façon différente mais sommes-nous les résultats des traumatismes de nos ainés ? Notre quête éternelle porte-t-elle toute notre vie sur ce que cette nuit a pu créer en nous comme manques ?
J'ai tendance à le penser du fait de ma propre histoire et de la psychogénéalogie suivie pour tenter de comprendre cette course de relais perpétuel. Je me suis toujours demandé si vieillir, ou s'épanouir tout simplement, c'était précisément arriver à comprendre cette part inavouable transmise, l'accepter, l'accueillir et ainsi savoir pardonner. En déceler même la part lumineuse, malgré et contre tout, des clairières dans toute cette forêt. Mais avant cette compréhension, sans doute nous-même, avons-nous transmis ce que cette nuit a fait germer dans notre inconscient. Comme un poison qui se transmettrait de génération en génération. Et la parole, l'écriture, les mots constituent comme autant d'antidotes possibles.

Gaëlle Josse fait de toutes ses interrogations le thème central de son dernier livre « La nuit des pères », faisant vibrer douloureusement l'intime en moi. La nuit des pères, la nuit des mères, celle des parents, cette nuit pouvant être ténue, infime ou infinie.
Elle axe son propos sur le père d'Isabelle et Olivier. Appelée par son frère Olivier, Isabelle rejoint le village des Alpes où ils sont nés. La santé de leur père, ancien guide de montagne, décline, il entre dans les brumes de l'oubli.
Après de longues années d'absence, elle appréhende ce retour. C'est l'ultime possibilité, peut-être, de comprendre qui était ce père si destructeur, si difficile à aimer. Trois jours dans la maison de l'enfance qu'Isabelle a quitté très jeune, traversée par l'urgence de la fuite, par l'impatience des ailleurs, tournant le dos à la montagne pour descendre au fond des océans. Trois jours durant lesquels les souvenirs affluent, sans relâche. Un père très difficile pour ne pas dire odieux, une mère quasi invisible, mais si douce, tentant de faire rempart entre ce mari dont elle connaissait les secrets et qu'elle aimait et les deux enfants. Au contact de ce père désormais amoindri, la colère, voire la haine, fait place progressivement à l'indulgence, puis au pardon lorsque les deux enfants enfin comprennent l'horreur vécu par le père.

« Voilà où j'en suis. Et toi mon père qui avance à pas lents vers les ombres qui vont t'ensevelir vivant, où en es-tu ? Je m'aperçois que je ne te connais pas. Je me sens perdue moi aussi. Chacun dans sa pénombre. La tienne me fait une peine infinie. Je ne m'attendais pas à éprouver cela. Que puis-je faire pour te retenir parmi nous ? »

L'écriture de Gaëlle Josse est une merveille. Tout d'abord dans sa façon de parler directement au père, de s'adresser à lui, lettre écrites durant ces trois jours, non envoyées, reflets d'un journal troublant. Cette interpellation convoque l'intime, le profondément enfoui, ne met aucune distance entre elle et son père. Ensuite dans l'écriture même, à la fois délicate et puissante, ciselée et poétique, envoutante et obsédante, avec ses phrases courtes au rythme hypnotisant, une écriture dense qui creuse son sillon pour remonter à contre-courant, retour aux sources des douleurs enfantines. Des redondances, il est vrai, comme autant d'obsessions à peler, à creuser, à mettre à nue. Nécessaire. Des fulgurances de douceur et de tendresse aussi, parfois.

« Maman, impératrice des écorchures soignées et des beignets aux pommes, maman raconteuse de Roule galette et de Boucle d'or, chuchotés à l'orée du sommeil, tu es là, avec nous, bien plus que sur cette photo installée sur la cheminée, avec son cadre argenté, avec mise en plis et rouge à lèvres exprès pour la photo. Bien présenter toujours. Sourire, toujours. Se tenir. La peau si fine de tes bras dévorés de tâches de son. Ai-je connu plus grande douceur ? ».

Un petit livre poignant, bouleversant, débouchant sur un apaisement, une note d'espoir. J'aime profondément sa façon d'écrire, sa façon de creuser, sa façon d'interroger si paradoxale, à la fois délicate et obsessionnelle. Une auteure qui arrive à me toucher comme peu d'auteurs y parviennent. A ce point.

« Face à nous, le soleil se levait, éclairant peu à peu l'espace, repoussant la nuit. L'aurore aux doigts de rose, a-t-il murmuré, la voici. Autour de nous, de l'or et du rose, en longs filaments lumineux. Tu vois nous renaissons chaque jour ».
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Avec beaucoup de pudeur et de sensibilité, Gaëlle Josse conte une histoire familiale bâtie autour de ce père qui commence à souffrir de « la maladie de l'oubli ».
L'histoire débute le vendredi 21 août 2020 lorsque la narratrice principale, Isabelle, revient dans le village de montagne où elle a grandi. Là, Olivier, son frère, médecin, vit toujours près de leur père.
Olivier attend sa soeur en gare de Chambéry. Avant de se retrouver dans ses « bras enveloppants, tendres et légers », Isabelle s'est adressée à son père, mentalement, pendant son voyage depuis Paris.
Elle se dit brouillonne, pressée, curieuse et compare son caractère avec celui d'Olivier, qui est patient et généreux. Leur père, guide de montagne réputé, a quatre-vingts ans. de sérieux symptômes de cette maladie de l'oubli n'ont pas manqué d'alerter Olivier. Ce dernier était revenu au village à la mort de leur mère survenue dix ans auparavant.
Les confidences, les réflexions d'Olivier et d'Isabelle sont toujours d'une extrême délicatesse. Leur respect mutuel est parfait et Gaëlle Josse mène admirablement échanges et réflexions sans jamais lasser. Ainsi, j'apprends que ce père, considéré comme un héros dans la vallée, est colérique et qu'il a surtout négligé sa fille qui lui en veut toujours. Il ne s'occupait que d'Olivier, si bien qu'Isabelle encore petite, avait décidé d'être un garçon. Pour cela, elle avait coupé elle-même ses cheveux avec une paire de ciseaux : un désastre ! Avant que sa mère ne tente de masquer un peu les dégâts, elle avait déjà reçu deux claques de son père.
Autre élément important du récit, pas le moins émouvant : la mort de Vincent, le mari d'Isabelle. Celle-ci est une réalisatrice réputée de reportages sous-marins – peut-être par opposition à cette montagne qu'elle hait – et Vincent plongeait pour filmer ce qu'elle demandait. Hélas, un jour…
Avec ça, Isabelle continue à confier ses souvenirs, ses regrets, les vexations et les punitions venant toujours de ce père qui, pourtant, la reçoit bien, paraissant en parfaite possession de ses moyens mais qui, subitement, oublie ce qu'il veut faire alors qu'il vient juste d'en parler. Il demande même des nouvelles de Vincent, mort depuis un an !
Fête des Pères rejetée par le principal intéressé, inspection sévère des chambres des enfants, lecture indiscrète et traumatisante du journal intime de sa fille, les exemples de mauvais souvenirs remontent à la surface. Malgré tout, il a veillé sur elle pendant ses dix jours de coma, suite à une grave chute avec son vélo rouge offert à Noël.
Surtout, il y a cette montagne qui cannibalise la vie familiale, ces colères subites, violentes, inexpliquées et ces hurlements, ce long cri de terreur que le père poussait chaque nuit.
Gaëlle Josse donne enfin la parole à cet homme qui, face à ses deux enfants, se met enfin à raconter son embarquement, à Marseille, le 9 mars 1960, à bord du Sidi Ferruch. Lui qui, sursitaire, se préparait à être prof de lettres, a fait partie de tous ces appelés du contingent envoyés en Algérie. On lui parlait d'événements et d'une indispensable pacification…
Il s'est trouvé qu'au moment où je lisais La nuit des pères, la chaîne de télévision LCP a diffusé un formidable documentaire réalisé par Georges-Marc Benamou et Benjamin Stora : C'était la guerre d'Algérie. Bien conseillé par mon épouse qui n'avait pas manqué les présentations dans Télérama, j'ai pu voir et revoir tous les éléments d'un drame qui a causé d'innombrables victimes et laissé des traces indélébiles.
La nuit des pères et C'était la guerre d'Algérie se sont complétés et enrichis mutuellement.

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En août 2020, à la demande de son frère Olivier, Isabelle revient avec beaucoup d'appréhension dans ce village des Alpes où ils sont nés tous les deux afin de revoir son père. Ce père ancien guide de montagne est aujourd'hui octogénaire.
À cette phrase prononcée par son frère, au téléphone deux mois plus tôt : "Ça serait bien que tu viennes, depuis le temps. Il faut qu'on parle de papa", elle s'est entendue dire « d'accord », pensant qu'elle était en fuite depuis trop longtemps.
C'est ainsi que nous allons entrer dans l'intimité de cette famille.
Olivier, lui, après avoir exercé comme kiné en ville pendant vingt ans, était revenu au village, dix ans plus tôt, à la mort de leur mère, pour être près du père.
Après des années d'absence, Isabelle affligée par un deuil récent, appréhende ce retour et « ce retour, elle l'accomplit à reculons. »
Elle reste marquée par l'indifférence, la rudesse et la colère de ce père destructeur, muré dans le silence, qu'elle n'a jamais pu approcher. Elle a pourtant tenté d'attirer son attention à plusieurs reprises, tant elle avait besoin de son regard, de son amour, mais en vain…
Pour ne plus vivre avec cette tension sans fin, pour ne pas être enterrée vivante sous ses emportements, dès le Bac, elle a fui, est devenue documentariste, passionnée par le monde sous-marin. Au coeur de ce monde bleu, elle n'entendrait plus crier son père.
Ce que son frère a à lui dire c'est que leur père, s'il est toujours en excellente forme physique a la maladie de l'oubli, sa mémoire commence à lâcher.
Isabelle restera quatre jours et c'est elle qui, en s'adressant au père sera la narratrice. Vont s'entremêler passé et présent. Passé avec l'évocation de ses souvenirs d'enfant blessée et présent avec l'altération de la mémoire paternelle. Sa voix ne sera interrompue qu'une seule fois par ce père et fera l'objet d'un chapitre. Il va enfin réussir à parler et à exprimer « ce regret, cette honte qui ne l'a jamais lâché » et raconter « la seule fois où il a eu froid la nuit, c'était là-bas ». Gaëlle Josse laissera la parole au frère pour le dernier, celui de la conclusion.
La nuit des pères est un roman qui m'a profondément touchée.
J'ai été bouleversée par cette histoire familiale, par la colère de cette gamine en soif d'amour paternel qui se heurte perpétuellement soit au silence de son père soit à ses emportements. L'histoire du vélo rouge ou celle du sacrifice des belles mèches brunes m'ont profondément remuée.
Gaëlle Josse réussit avec beaucoup de pudeur de sobriété et de poésie à évoquer cette terrible maladie d'Alzheimer, qu'elle préfère nommer avec beaucoup de tact et d'exactitude la maladie de l'oubli.
Avec la prise de parole du père, c'est un moment extrêmement fort que nous donne à vivre l'auteure. Un seul chapitre résume à lui seul un sombre épisode de l'histoire de France avec ce qu'ont pu vivre ces jeunes arrachés parfois à leurs études et envoyés en mission de pacification pour ce qu'on a toujours appelé « les évènements ». Ce sera grâce à cette confession inespérée qu'Isabelle et Olivier vont enfin trouver l'amour de leur père.
C'est avec justesse, délicatesse, beaucoup de sensibilité et d'humanité que Gaëlle Josse dépeint les relations entre les membres de cette famille meurtrie et comment peu à peu ces ultimes retrouvailles vont réussir à adoucir cette tension.
La nuit des pères de Gaëlle Josse, est un livre poignant qui m'a emportée dès les premières pages et que je qualifierais de long chemin vers l'apaisement.
J'ai été ravie de découvrir le talent de cette auteure déjà récompensée par de grands prix pour ses ouvrages antérieurs.

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Une histoire qui pourrait sembler presque banale magnifiée par l'écriture de Gaëlle Josse, écriture si belle et si sensible qui a su me toucher encore une fois, me bouleverser par moments.
Une fille Isabelle, exilée du lieu de sa jeunesse, fuyant un père sauvage, enfermé dans une colère dont elle ne connait pas la cause, un fils resté au village, le père qui vieillit et sa mémoire qui commence à faire défaut. Elle va revenir pour quelques jours et affronter ses souvenirs, essayer de retrouver son père tant qu'il n'est pas complètement parti. Cette fille, qu'il n'a jamais su voir, va nous raconter en s'adressant directement à ce père, sa souffrance, celle de l'enfant qu'elle était, celle de la femme qu'elle est devenue, en la présence affectueuse de ce frère en apparence solide, mais blessé lui aussi.

Je disais donc une histoire presque banale, une famille qui ne fonctionne pas, un quotidien rythmé par les colères du père, et ses cris la nuit. Cette peur au ventre, pour les enfants, ne jamais savoir comment se passera la soirée, si elle sera calme ou non. Ce ne sont pas les coups qui sont craints, mais une atmosphère sombre, étouffante, qui pèse, qui détruit la légèreté de l'enfance. Un père dont le passé sera expliqué pendant ces quelques jours de retrouvailles un père qui n'aura jamais su surmonter les évènements qui l'ont changé à jamais et dont la souffrance sera celle de toute sa famille. Sa femme ne réussira pas à le sauver, elle saura seulement parfois amortir la dureté, réconforter les enfants.

Une histoire cependant plus originale par la forme, celle d'une longue lettre qui dit tous les mots qui n'ont jamais été échangés. Ces deux là ne se parlaient pas. le retour d'Isabelle va raviver tous les souvenirs, et les écrire va lui permettre face à ce père amoindri de dépasser sa rancoeur. Elle l'aimait ce père, qui ne la voyait pas.
« C'est un perpétuel jaillissement de beauté, ta montagne. Je comprends que tu l'aies tant aimée. Mais moi, c'est toi que j'aimais. »

Beaucoup de noirceur dans ce livre, beaucoup de colère, beaucoup de dureté. Mais tout cela exprimé d'une écriture poétique, précise, envoutante. Un livre qu'on ne peut lâcher tant les mots nous happent. Et qui se termine sur une note plus légère, une promesse de mieux-être.
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Secrète rebelle, Isabelle
Court toujours après l'amour
D'un père en colère, distant
Un père cachant ses tourments
Partie très vite, le coeur lourd
Elle essaie d'éloigner tout
Les vifs chagrins de l'enfance
Les brisures ,le deuil terrible
Olivier son frère l'appelle
La maladie de l'oubli
Ronge le père aimé haï
Dans ce huis-clos tous les trois
Vont réapprendre la famille
Jaillissent enfin les émois
Ouvrant coeurs émiettés
La montagne refuge dernier

Coup de coeur pour cette histoire poignante, un retour aux sources des souffrances enfantines, face à cette montagne maudite, qui prend le père, absent des sentiments. Se sentir rejetée, transparente, quelle douleur! Un retour qui permettra pourtant la libération...

de son écriture toujours aussi délicate et poétique, Gaëlle Josse capte avec justesse les rapports complexes d'une famille écartelée, et de l'obscurité , timidement, naîtront des lueurs de vie, de la chaleur...A lire, assurément !




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Un gros coup de coeur pour ce livre. Première fois que je lis un livre de cette autrice mais je pense que cela ne sera pas le dernier. Un livre fort en émotion, une écriture incisive, intense et rude comme cette montagne qui sert de paysage.
Isabelle reçoit un appel de son frère Olivier, il s'agit du père qui décline. Pour le moment rien de grave mais il s'enfonce peu à peu dans l'oubli et sa mémoire lui joue des tours. Isabelle a fuit très jeune la figure paternelle. Ce dernier lui avait dit "Tu ne seras jamais aimée de personne" ou "Tu vas rater ta vie" de quoi se sentir mal et ne plus avoir confiance en soi. Mais Olivier se montre convaincant. Isabelle va faire beaucoup d'effort pour affronter son père encore une fois. Elle a trop longtemps fuit et se doit d'aller une dernière fois (peut-être) à sa rencontre pour essayer d'apaiser les tensions.
J'ai beaucoup aimé la relation pere-filles et peu à peu on découvre une partie fragile du père qui peut expliquer son attitude. le frère, Olivier, n'est pas en reste puisqu'à la fin de ce récit il narre son ressenti. Un petit bémol pour la mère qui est une personne aimante mais faible face à son mari et son ressenti n'est pas exprimé : dommage.
Cela reste tout de même un très bon roman terriblement humain. Je ne peux que vous le recommander.
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Isabelle rentre chez son père qu'elle n'a pas vu depuis des années.C'est son frère qui s'en occupe, alors que la maladie semble laisser peu d'espoir au père. Isabelle appréhende beaucoup ce retour, auprès d'un père qui ne lui a pas rendu l'enfance toujours facile.

Ce roman est un concentré d'émotions . de part sa structure , il nous permet de louvoyer dans les arcanes familiales et de bien appréhender chaque personnage.Comme dans toutes les familles , les secrets ont ce défaut de rendre inexplicables certains comportements et d'engendrer au mieux des malentendus , au pire des déchirures.

C'est le cas ici, dans une famille peu épargnée et où les traumatismes ont du mal a trouver un échappatoire.

De plus, la montagne offre ici sans doute ce qu'elle a de plus beau, une porte vers la liberté , un bien être qu'aucun médicament ne pourrait apporter.
Tout est beau dans ce livre .les personnages, l'histoire, la nature , les éclairages portés sur la fin de vie , le deuil, la guerre et les liens familiaux.
Bravo.

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«  Tu ne seras jamais aimée de personne.
Tu vas rater ta vie » .
Comment ne pas être sensible à la douleur et à la colère d'Isabelle?
Comment se construire , ne pas fuir ?
Mettre de la distance ? «  J'ai fui ton cri la nuit , mon père , presque chaque nuit, ce cri de terreur m'arrachait au sommeil comme des griffes , comme des serres » …
Quelques citations de ce beau récit .

Isabelle , la flamboyante , sauvage , rétive , indocile, terrifiée ,impatiente des ailleurs fuira un jour…., lassée , partira très vite emportée par la curiosité des mondes et de l'océan et le talent de les montrer dans leur splendeur et leur fragilité .

Vincent ( son ami ) fut midi à son poème car elle enfouissait ses angoisses et ses colères face à un père brutal , irascible, impatient , imprévisible, aux gestes agacés , aux mots blessants , qui écorchent l'âme , tailladent le sang, mais———nu, démuni par un cortège de honte le suivant sans relâche , sans répit ——aucun, depuis sa jeunesse .
Sa maman , trop tôt disparue faisait office de paratonnerre face à la dureté du Père .
Mais tout cela Isabelle l'ignore jusqu'à ce que son frère Olivier, le sage , solitaire , qui n'a pas fui, soignant les gens , habile de ses mains , l'appelle .
Elle rejoint le village où ils sont nés .
La santé de leur père , ancien guide de montagne , passionné par son métier et les hauts sommets vierges , maudits , décline et entre dans la maladie de l'oubli . Sa mémoire s'effiloche , le crépuscule descend doucement , inexorablement sur lui,

Elle comprendra peut- être enfin , après ses chagrins d'enfance , ces brisures ineffaçables , ces douleurs , ces silences hostiles , qui était ce père craint, haï, destructeur ,taiseux ? .
Une épine au coeur qui l'empêchait de vivre , abîmé par des images qu'il n'avait jamais pu effacer de sa mémoire , témoin de la Grande Histoire , sans rien pouvoir empêcher .

Des vies ordinaires comme celle de son ami le prêtre, Éric Danjean, , jetées dans la gueule d'une très sale histoire .

Pendant quelques jours ,les voix de cette famille meurtrie , tourmentée , écartelée se succèderont pour dire l'ambivalence des sentiments filiaux , ces silences enfouis enfin mis à nu , la fragilité d'un homme qui le poursuivront jusqu'à sa fin…..

Le frère et la soeur avanceront comme ils le pourront , «  Il faut beaucoup d'amour pour résister à toutes les érosions » .

Un récit court , dense , poignant , une porte entrouverte à la fin, comme toujours à la lecture d'un roman de cette auteure , j'ai été emportée par un trop plein d'émotions , ( je suis une inconditionnelle, j'ai lu presque tous ses livres depuis 2012 donc peut - être peu objective , tant pis ) subjuguée par son écriture délicate , ciselée, poétique , enivrante .

Elle manie les mots avec grâce, pudeur , rare intensité , vérité , justesse , interroge nos fragilités et le sens de nos vies , sonde avec intelligence nos incrédulités , nos rages , nos impuissances, nos désespoirs , nos non- dits ….

Un ouvrage à vif , vrai , que je vais longtemps garder en mémoire .
Acheté au Livre sur la Place à Nancy, samedi , où j'ai rencontré cette auteure discrète .
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Les nuits des pères étendent aussi leurs ailes noires sur celles de leurs enfants , alors, soit ils s'en accommodent, soit ils fuient .

Isabelle , sur la demande de son frère Olivier revient après de nombreuses années d'absence dans la maison paternelle dominée par le massif des Alpes .
Ce père, Marc , qui n'a eu que dédain et mots de fiel pour sa fille , devenu vieux, perd la mémoire et Olivier, le fils qui a quitté le fil de sa vie personnelle pour être près de son père désire qu'Isabelle tout en constatant par elle-même cette terrible dégradation réapparaisse dans le cocon familial . Marc , pendant toute sa vie de mari et de père n'a eu qu'une passion ou une fuite, la montagne , qu'il parcourait quelque soit la saison. Isabelle, elle , a choisi l'opposé, les fonds sous marins où, elle et Vincent, son mari , réalisaient des reportages .

C'est Isabelle qui parle dans la plus grande partie du récit, s'adressant à son père , se mettant à nue dans sa souffrance d'enfant mais aussi dans sa quête de reconnaissance et d'amour .
Puis Olivier prend la parole pour terminer le récit.

Les souvenirs resurgissent dans cette maison abritant tant de chagrins, de silences , et où la violence du père a fait éclater l'enfance.

Gaëlle Josse sait manier les mots pour les rendre percutants mais enveloppés dans un écrin de velours, elle pointe avec une grande justesse et une infinie délicatesse les failles de l'âme, les tourments qui obsèdent et se poursuivent sans répit toute le long de l'existence emprisonnant ceux qui en souffrent dans une grande solitude avec comme exutoire la fuite ou la violence. .

Ces instants fragiles mais essentiels à l'issue d'une vie , qui s'écoulent comme un film en accéléré où certaines séquences sont coupées , secouent profondément le lecteur, ravivant ses propres plaies , ses questions et ses remords mais offrent l'espoir de comprendre enfin , à défaut de pardonner .

Le chemin de l'acceptation de l'autre et de soi-même est long comme un sentier pentu de montagne où le sommet est caché par les nuages ...

Magnifique roman qui s'ancrera dans ma mémoire .
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Coup de coeur ! Et pourtant c'était pas gagné. Troisième livre presque d'affilée lu sur la mort du père qui rassemble la fratrie et qui tente de dévoiler les non-dits et les blessures du passé. On vieillit tous et je pense qu'en tant que lecteur alzheimer fait peur. À la page 28, le frère dit à la soeur, je cite : « Dans ses poches, quand je prends ses vêtements pour les mettre en machine, je trouve des bouts de papier, des fiches de bloc-notes pliées en quatre. Il y a écrit son nom, sa date de naissance, son adresse, le prénom de maman et les nôtres, nos dates de naissance, nos numéros de téléphone, nos adresses. Je lui en ai jamais parlé. Je ne sais pas quoi faire. »
Le cerveau du père, ancien guide de montagne, décline et il en a encore complètement conscience. Peut-on choisir sa mort ou continuer à vivre, comme il le dit, je cite encore : « Un jour, je ne saurai plus vos noms, et mes muscles auront oublié comment ouvrir la bouche pour boire ou avaler. Je ne veux pas devenir un vieillard sénile en fauteuil roulant, qui se chie dessus et regarde par la fenêtre la mâchoire pendante en attendant l'heure de la compote. Je voudrais l'éviter tant qu'il est encore temps. »
Que dire de plus et mieux que ça ?
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