Hautes chaumes, I - extraits
Cascade
posément articulée
par le versant ensoleillé.
Sa litanie se perd
dans le tutti continu des prairies
- et la vallée en porte-voix
s’ouvre en plein oxygène
pour faire éclater
les voix simultanées
de la polyphonie.
J’écoute, donc
je suis
pas
à
pas.
Le cri bref du corbeau,
le craquement sur le chemin
d’une branche morte de hêtre ;
peut-être, en écoutant un peu plus loin,
dans les hauts bois une cascade grégorienne :
et puis, mais en tendant vraiment l’oreille,
l’appel, ou la plainte,
qui monte au fond de nous,
comme un torrent de lave.
L’odeur d’humus,
celle de champignon,
toujours jeunes réminiscences
des couches enfouies
de la géologie verbale.
Cinq notes sous la pluie
dessinent la présence de l’oiseau.
Racines,
n’apparaissent que de mort d’arbre ;
ombilic
entre les fruits, les fleurs
et le magma
qui donne à naître
sans dessein.
Dans le terreau inconscient du chant,
racines,
qui accouchez de trois milliards de feux,
trois milliards de regards,
trois milliards de milliards
de désirs.
De la surface de ce jour,
ô vous, subtiles conductrices de la nuit,
je vous entends,
racines.
Le tourbillon des chants de la lisière…
Le tourbillon des chants de la lisière
se rétrécit et s’affermit jusqu’au martèlement sec
du pivert.
Ce n’est plus là chant d’agrément,
mais musique précise du travail de vivre
‒ ailleurs, dans la mémoire,
par le vent peut-être poussée,
une porte claque, suscitant une chaîne d’échos,
et la maison grandit jusqu’à coller exactement
aux limites du front, de la nuque et des tempes ;
mais là, c’est la respiration,
c’est la demeure ouverte,
c’est la fraîche chaleur, aînée de la mémoire –
Et tous ces cailloux blancs…
Et tous ces cailloux blancs,
oublieux du chemin dont ils sont les jalons,
qui nous ramènent au seuil, clos à jamais,
de l’origine.
La solitude n’est rien d’autre
que ce chemin qui se dévide
au flanc de la montagne,
et qui mène son chant
à l’extrême jonction
des vents contradictoires.
Ne craignons pas la solitude
qui tutoie ;
elle est au cœur de l’unisson,
dans le chant secret des avoines,
dans la coda des sources et des nids,
dans l’intime patrie de nos yeux.
Il y a le buisson où les couleurs s’enflamment…
Il y a le buisson où les couleurs s’enflamment ;
l’enfant qui passe là jamais ne quittera
l’instant de ce printemps.
Et le rayon surgi du cœur des arbres,
qui descend parmi tes cheveux,
qui soulève les voiles de l’air,
qui se faufile entre les mousses
jusqu’aux galets plats de la source.
Hautes chaumes (II)
Extrait 2
Acre fumée
comme, en la gorge,
relent, un peu amer, de pluie ;
et puis ce craquement du bois
sous les entrechats de la flamme.
Dans la clairière,
quelques centimètres au-dessus des herbes coupées,
vapeur ténue de la mémoire
se faufilant parmi les arêtes de la dissertation.
De vieilles transparences,
l’usure fascinante de la trame,
les chants boisés,
le goût de sang entre les lèvres,
l’hermétique chemin
entre les troncs et les buissons ;
plus bas, le ciel ;
puis, à travers les paupières,
l’éveil au milieu des couleurs
qui, l’une l’autre se chassant,
restituent à l’intime nom
de la totalité.
…
POÉSIE CHINOISE – Qu’est-ce que la Poésie chinoise ? (France Culture, 1979)
Une compilation des émissions « Albatros », par Gil Jouanard, diffusées en 1979 sur France Culture. Invités : François Cheng, Gérard Macé, Gérard Engelbach, François Lallier, Joseph Guglielmi, Cheng Shin Cheng et Jean Pierre Dieny.