L'auteur parle de la beauté sauvage du Connemara, à l'extrême ouest de l'Irlande, avec une vision transcendantale, c'est même une véritable méditation. On sent l'auteur heureux de faire partager sa passion au lecteur, sa sensibilité face aux tourbières, face à la pluie, aux moutons, au crachin... Sa vision est celle d'un homme en marche (lui-même ou le lecteur) dans les couleurs des brouillards et des landes légendaires.
Ce pays se mérite, si l'on est perméable à sa poésie, sensible à son caractère. Pensée et réalité s'entremêlent... C'est beau, tout simplement.
L'auteur n'évite cependant pas quelques redites, mais ce livre est une émotion à lui tout seul, un livre d'art, le Connemara y figure comme un mystère dévoilé au lecteur et c'est sublime.
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C'est à croire qu'il ne s'est jamais rien passé ici, durant les temps historiques qui ont fait suite à l'interminable période légendaire, durant laquelle les géants et les magiciens se partageaient ce territoire transformé en champ de bataille permanent et en foire aux prodiges.
La pluie et le brouillard ont effacé jusqu'au souvenir de ces guerriers valeureux et de ces enchanteurs retors. Ils semblent en avoir fait de même des Saxons, des Vikings, des Normands, des Jacobites, des Orangistes et des sbires de l'infâme Cromwell.
C'est donc un pays sans histoire crédible, tout entier soumis à la loi intemporelle de la légende.
Lorque l'on voit ce qu'est la tourbe, d'où elle vient, ce qui la constitue organiquement, on ne peut s'empêcher de penser que l'île entière, et spécialement le Connemara – Irlande de l'Irlande – n'est rien d'autre que le produit de décomposition de millénaires de rêves et de fantasmes.
Tout, en effet, donne ici l'impression d'être recouvert de la substance dégradée de tous les morts qui, depuis la nuit des temps, ont effectué la traversée vers l'île d'Avallon; et tout laisse entendre que ces rumeurs confuses ne sont rien d'aurtre que les échos ruminés de légendes plus vraies que nature.
L'Irlande en son Connemara est la tourbière de l'imaginaire universel.
(Sur le brouillard)
On s'enfonce dans l'amphibisme universel en chantant, comme les Cathares dans le feu à Montségur, ou comme l'enfant pour se rassurer dans l'obscurité. Pour échapper au silence, ou tout au contraire pour l'entendre se refermer sur notre voix.
On s'enfonce dans le silence opaque, chantant comme on respire, et c'est tout l'océan d'air humide qui nous enveloppe à présent, qui nous tire lentement vers le fond en une chute dans l'appesanteur de l'opacité.
Mais rien n'y fait, plus on va dans le Connemara, moins on avance à sa surface, plus on se laisse aspirer par l'intérieur, celui du Connemara, celui de nous-même; et c'est bientôt le même.
Le Connemara est un de ces pays qui prennent toute leur envergure lorsqu'ils sont entrés en vous. Comme ces maquettes de bateaux dans les bouteilles.
Après, on ne peut plus les faire ressortir, sinon en cassant la bouteille.
Un homme seul, perpendiculaire à la superposition des horizontales accumulées, avance sur une route qui n'en est pas véritablement une, qui est plutôt la projection de son parcours monomaniaque, bande étroite de couleur gris violacé, sinuant à travers les verts et les bruns alternés, parfois même entremêlés, bande de violet grisâtre montant, à partir de l'horizon, vers la masse gris bleuté du ciel. C'est un homme seul sur une route. Et, ensemble, la route et lui, ils avancent vers nulle part, autant dire le ciel, sans se presser.
POÉSIE CHINOISE – Qu’est-ce que la Poésie chinoise ? (France Culture, 1979)
Une compilation des émissions « Albatros », par Gil Jouanard, diffusées en 1979 sur France Culture. Invités : François Cheng, Gérard Macé, Gérard Engelbach, François Lallier, Joseph Guglielmi, Cheng Shin Cheng et Jean Pierre Dieny.