A la fois simple et compliqué... Toujours surprenant de rencontrer un être, un écrivain, qui écrit quelque chose qu'on connaît à peu près tous, mais décide de le planter en des personnages spécifiques, dans un décor particulier, etc, avec un point de vue et une langue un rien poétique et décalée. Bon, c'est ça la littérature, un peu, je crois. Mais il y en a tellement, tellement... Et pourquoi choisir ceci plutôt que cela.
Je ne fais pas de morceau littérature un de mes morceaux de choix, plutôt un de plus qui ne fait que passer devant mes yeux et dans mon être, sans probablement s'y arrêter ni laisser beaucoup de traces.
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Catherine était donc assise sous la clarté diffusée par un gros abat-jour fait de soierie chinoise dix-huitième siècle ; dans l'angle d'une vaste pièce obscure. Les objets endormis, tout devenait calme. Un sentiment de fine qualité émanait de la petite baronne souriante. Le "gemüt" de Vienne était au plus haut degré, car il fondait dans l'air ne laissant que des traces. Catherine portait ce soir une blouse de soie avec un seul petit noeud noir près du cou, ses cheveux non collés, vaporeux, son visage à la poudre et la boche à peine agrandie. On se regardait. On respirait des choses lointaines, indéfinissables. On se sentait en Autriche. On était très bien.
Hé bien j'ai entrepris de me brûler de mes propres mains. Quand on est née comme moi d'une naissance affreuse, qu'on est faite de contraires, qu'on se déguise pour vivre, et qu'on joue le théâtre avec soi-même et qu'on est pleine de mouvements violents jusqu'à la sauvagerie, et de peurs, et de chagrins, quand on est sensible à crier (tout ce qui touche la peau fait mal) mais avec cela dans la continuelle position de défense, et quand on est entourée d'ombre, en somme, de noir, sans personne auprès de qui se consoler, sans ange gardien, quand on est professionnellement belle, quand on a un nom qui inspire le dégout et qui fi contraste avec vous-même qui inspire autre chose, quand on est actrice de cinéma et bonne à presque rien - on est Catherine Crachat.
J'ai été tout cela.
Non, on n'a pas le droit de rire de cette manière. La rencontre a terrifié le coeur de Catherine, mais le rire la blesse à mort.
Le rire tue des êtres visibles et invisibles, roule le passé comme une pâte ou une boue, avilir la sainte image que l'on forme, blesse Dieu.
La mort va venir et elle nous endormira doucement, doucement, et nous deviendrons de l'herbe, des roses ou d'autres créations de l'amour. J'aime, je vis dan les replis secrets de l'amour et je suis toute pénétrée de sa beauté ; à la fin je cesserai d'aimer, et je mourrai, je dormirai. L'amour, la mort, il n'y a rien de plus, et sans doute : c'est la même chose. Si j'ai beaucoup aimé, je mourrai bien. Pourquoi me torturer.
- Je déteste le cinéma, dit assez sèchement Catherine. C'est mon métier. Comme vous me plaisez. Il n'y a rien de plus grand que de refuser ce que l'on est.
Pierre JEAN JOUVE – Portrait (DOCUMENTAIRE, 1991)
Un documentaire de Pierre Beuchot réalisé en 1991.