7 mars 2005
Rencontre passionnante avec Jean-Marc B. Une soixantaine d'années. Il est designer et possède un atelier dans l'usine où on réalise ce qu'il conçoit. Sa sensibilité à la vie, aux personnes, aux objets, aux couleurs..., est exceptionnelle.
Sa mère, pianiste, fantasque, savait par coeur des pages entières de Flaubert, de Stendhal, et elle les lui récitait. Une fois, lors d'un voyage en Inde, il est arrivé dans un petit hôtel entouré d'un espace naturel, et il a eu aussitôt l'impression qu'il était déjà venu là. Surpris, il a cherché à en savoir plus et il a trouvé. Sa mère lui avait lu La Mousson, de Louis Bromfield.
Quand il avait treize ans et son frère huit ans, elle les avait menés à l'Opéra pour les faire assister à une opérette. Elle leur avait attaché un petit bouquet de violettes au poignet.
Si à un moment votre esprit s'échappe et que vous vous rendez compte que vous n'écoutez plus, il faudra humer le parfum de ces violettes. Il vous mettra à nouveau en état d'écouter.
10 décembre 2005
(...) D'ailleurs, d'une manière générale, celui qui est occupé de l'invisible paraîtra toujours un inutile face à ceux qui sont pris dans le courant.
2004
30 juin
D'une part, notre vie triviale, répétitive, ennuyeuse, bor-
née par la mort, d'autre part notre nostalgie de l'immense,
de l'éternel ‒ nous effectuons si souvent le voyage de l'une
à l'autre.
p.38
7 février 2005
(...) Parler clair. En employant les mots les plus simples, les plus quotidiens, parler-écrire pour apporter de la clarté, pour rejoindre ceux qui n'ont pas les mots, pour réduire leur solitude.
6 juin [2006]
J'ai dévoré cette oeuvre [celle de Samuel Beckett] lentement, avec passion, mâchant et remâchant chaque mot, mais face à elle je n'étais pas qu'un simple lecteur. J'étais aussi quelqu'un qui était entré en écriture. (...)
Insensiblement, sans que je l'aie voulu, sans que je m'en suis rendu compte, je me suis éloigné des Molloy, Moran, Godot, et je n'ai plus éprouvé le désir de revoir celui qui les avait engendrés. Le besoin de vivre s'était emparé de moi, et en intervenant sur ma réalité interne, je m'employais à panser mes blessures, à arracher mes entraves, me tirer de mon épuisement. Je pense en effet que si on en a les moyens et surtout l'impérieux désir, on peut arriver à se faire naître, à provoquer en soi une mutation, laquelle détermine un autre rapport à soi, un consentement à soi-même et à la joie d'exister.
Beckett n'a pas pu, n'a pas voulu sortir de sa souffrance. Bien que je ne le lise plus depuis longtemps, bien que je ne me réfère plus à ce qu'il a écrit, il me reste proche. Il est de la famille des Hölderlin, des Van Gogh, des Artaud, et quand je pense à eux, à lui, à ce qu'ils nous ont donné, c'est chaque fois avec une profonde compassion, une infinie gratitude. (p. 175)
Nous parlons des écrivains que nous apprécions, et il est d'avis que ceux qui aiment les mêmes écrivains forment une grande famille.
La violence du désir
Une compulsive impatience
et le temps ne coule plus
. 2004
21 octobre
J'aime ces instants où je m'apprête à écrire, et où,
concentré, ramassé dans ma substance, libéré de mes doutes
et inhibitions, je suis résolu à donner tout ce que je peux,
tout ce que j'ai.
p.53
30 janvier
Quand je suis présent à moi-même, je suis également présent à ce qui m'entoure, capable d'observer ce qui s'offre à ma vue. En fait le regard intérieur et le regard qui se pose sur l'extérieur fusionnent, s'alimentent l'un l'autre. Souvent ils ne sont qu'un seul et même regard, lequel ne peut avoir qu'une seule et même vision.
18 juillet [2005]
Ecrire est une action grave. Certes. Ecrire , c'est creuser en soi, c'est fixer dans des mots notre lutte contre la fuite des jours, contre la fatalité de la mort, contre ce qui nous ronge, parfois nous terrifie. (p. 117)