Citations sur Journal, tome 9 : Gratitude (2004-2008) (35)
Quand on veut dire sa souffrance, il ne faut pas un mot de trop.
2004
6 octobre
Émission de radio : naissent deux jumeaux, une fille et
un garçon, mais la fille meurt peu après. Par la suite, rien
n'en a été dit au garçon. Quand il a eu dix ans, une psy-
chothérapie a révélé qu'il savait inconsciemment qu'il avait
eu une sœur et que celle-ci était décédée. En outre, il se
croyait responsable de cette mort et souffrait d'un lourde
culpabilité.
p.46-47
30 juin 2004
D'une part, notre vie triviale, répétitive, ennuyeuse, bornée par la mort, d'autre part notre nostalgie de l'immense, de l'éternel - nous effectuons si souvent le voyage de l'un à l'autre.
15 décembre [2004]
J'ai lu des centaines de livres, j'ai fait de passionnantes rencontres, j'ai eu de belles amitiés. Qui aurais-je été , quel parcours aurait été le mien si je n'avais pas reçu ce qui m'a grandement enrichi ? Mais je tiens aussi à ajouter cette question que pose Paul Baudiquey dans un de ses livres : - Que serions-nous sans nos blessures ? (p. 73)
14 octobre. paris [2004]
On peut être sincère et ne pas s'intéresser à autrui, rester fermé en soi-même, prisonnier de son égocentrisme. (...)
Aimer c'est s'ouvrir à l'autre, l'accueillir au plus intime de soi, et aussi se glisser en lui. Pour savourer ce qu'il est, ce qu'il vit, ce qu'il éprouve. C'est encore être loyal à son égard, attentif à ses attentes, ses désirs, ses besoins...C'est encore ne pas céder à la moindre velléité de possession.
Si l'on ne connaît pas cet autre qu'on pense aimer, que peut-on échanger avec lui ? (p. 49)
Ce n'est qu'après un douloureux travail de déblayage que j'ai pu me trouver et aller de l'avant. Ainsi, à l'angoisse, aux entraves, à la ténèbre intérieure se sont progressivement substitués une sérénité, une profondeur d'être, une clarté qui ne s'éteint plus.
2004
30 août
PORTER UN MASQUE ?
Les deux extraits qui suivent sont prélevés dans ma
réponse à une enquête parue ce mois dans La Quinzaine
littéraire.
Porter un masque ? Chercher à paraître un autre que je ne
suis ? M'identifier à un personnage inventé ‒ dans la vie ou
en écrivant ‒ dans le but plus ou moins conscient de m'illu-
sionner sur moi et d'abuser autrui ? Franchement, je peux
affirmer que je n'ai jamais éprouvé pareille tentation. […]
Écrire, ce fut pour moi un moyen de surmonter mon
dégoût de la vie, de réparer ce qui avait été abimé, puis
d'entreprendre la lente pérégrination qui m'a conduit à
naître à moi-même. À l'évidence, la tâche à laquelle j'étais
attelé excluait que je sois tenté de revêtir une personnalité
d'emprunt.
p.43
2004
13 octobre
À la différence de ces peintures qui gagnent beaucoup
à rester inachevées, un texte pour qu'il s'impose ne doit pas
donner l'impression qu'on pourrait le retoucher. Les mots
qu'on a sous les yeux, il importe qu'ils soient précis, ce qui
n'empêche pas qu'ils peuvent frémir, ouvrir sur de vastes
espaces, nous emmener fort loin.
p.48
22 janvier
J'ai souvent repensé à cet ami qui me reprochait d'employer le mot « centre », un mot pour moi inévitable et essentiel. Ce que je disais dans la note concernant cet ami, je l'ai tiré d'une expérience qu'il ne vit pas, qu'il n'a jamais vécue. Or nous savons bien que dans ce domaine la connaissance n'a pas d'autre source que l'expérience.
Ce centre se vit à différents niveaux : il est ce point où l'être se trouve rassemblé, lové au sein de ses ressources, de ses energies.
Ce point où, en un éclair d'hyperconscience, il se saisit à la racine de ce qu'il est.
Ce point où parfois la vie déflagre et s'embrase.
Ce point où l'amour s'épanche, rencontre êtres et choses en un vaste mouvement de ferveur et de consentement.
Le point où, hissé au-dessus de lui-même, l'être accède à l'intemporel
15 novembre 2005
(...) Son hypersensibilité m'a fait penser à celle de Virginia Woolf. Elle aussi souffrait d'être souvent épuisée par ce qui l'émouvait ou la déchirait.
Un jour, B. se trouvait près d'un enfant de cinq ans qui était appuyé contre un arbre, le regard dans le vide. Il était beau et elle l'admirait. Tournant la tête, il avait perçu ce qu'elle ressentait, et il lui avait dit :
- Toi aussi tu es belle.