Le 1er juillet 1925, Erik Satie meurt dans sa chambre-placard à Arcueil, seul, terriblement seul, comme il a vécu.
C'est en découvrant la misère du lieu où il vit depuis 10 ans que ses amis prennent la mesure de cette solitude, de sa pudeur face à la dèche.
« Satie vivait enfermé dans son Placard, comme un balai accroché à une serpillière, repassant le sol à l'infini, prisonnier d'un minuscule rêve de bonheur qui ne pouvait pas tenir dans ses dix mètres carré. Mais l'horizon qui défilait dans son crâne lui suffisait ».
Erik Satie, le génial Esotérik Satie…
Fou ? Colérique ? Paranoïaque ? Alcoolique ? Aberrant ? Insomniaque ? Bizarre ?
Oui, tout cela mais aussi délicat, contemplatif, plein d'humour, d'autodérision, et surtout de tristesse. Cette tristesse née de la mort prématurée de sa mère, puis confortée par les vexations de ses professeurs du Conservatoire qui ne comprennent pas cet enfant qui s'ennuie, qui le dissimule à peine et parfois se rebelle.
« Car à la différence d'Erik, personne n'avait jamais dit de
Claude Debussy qu'il était passable. Personne n'avait vexé sa fantaisie d'enfant, ni blessé son aptitude à vivre une belle vie. »
Toujours, il dissimulera cette mélancolie en faisant le clown pour les autres, désirant plaire même s'il faut être ridicule pour y parvenir. Toujours, il doutera de son talent.
J'ai adoré ce texte. Ce n'est pas un roman, pas une biographie, c'est une évocation poétique de la vie d'un homme incompris de son temps.
*Je suis né trop jeune dans un monde trop vieux.*
On devine l'attachement de
Stéphanie Kalfon pour son sujet. Elle glisse dans son récit de multiples citations d'Erik Satie (enfin, il me semble). Car oui, Erik Satie a écrit des articles, une importante correspondance…. Je viens de le découvrir avec intérêt car je m'interrogeais sur ces incises en italique dans le texte, entre astérisques ici. Etaient-ce les mots de S. K ou ceux de Satie ? Elle a su mêler habilement son récit aux mots mêmes de Satie sans dénaturer son inventivité, son ironie, communiquant son désespoir mais aussi son obsession musicale..
Je voudrais terminer ce billet par un petit inventaire à la
Prévert des parapluies d'Erik Satie.
Quand il rentre à pied de Paris à Arcueil où il n'y a rien, pas même un drap, juste des couvertures de la SNCF, on y découvre quatorze parapluies.
« Dès qu'il a un sou en poche, c'est pour acheter un parapluie :
un de Secours (de couleur noire)
un Just in case (de couleur noire)
un Malheureux (de couleur noire)
un plus Solide (de couleur noire)
un qui s'Envole (de couleur noire)
un Jetable (de couleur noire)
un très Digne (de couleur noire)
un Imperméable (de couleur noire)
un que l'on peut Casser (de couleur noire)
un qui nous Attend (de couleur noire)
un très Intimidant (de couleur noire)
un Alambiqué (de couleur noire)
un très Sportif, qui défend bien (de couleur noire)
et le dernier, gentil, juste pour les Dimanches (de couleur noire)
Tous peuvent se porter été comme hiver. Ils sont pratiques, indémodables, discrets et très patients. Absolument noirs. Ils sont au nombre de quatorze, mais ils n'empêchent pas de se sentir seul. Ils permettent de se sentir abrité. Surtout quand il ne pleut pas. »
Un très beau texte qui m'a permis d'approcher un artiste que j'aime depuis longtemps, qui m'a profondément touché.