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Citations sur Réparer les vivants (345)

Le cœur de Simon migrait dans un autre endroit du pays, ses reins, son foie et ses poumons gagnaient d’autres provinces, ils filaient vers d'autres corps. Que subsisterait-il, dans cet éclatement, de l'unité de son fils ? Comment raccorder sa mémoire singulière à ce corps diffracté ? Qu'en sera-t-il de sa présence, de son reflet sur Terre, de son fantôme ? Ces questions tournoient autour d'elle comme des cerceaux bouillants puis le visage de Simon se forme devant ses yeux, intact et unique. Il est irréductible, c'est lui. Elle ressent un calme profond. La nuit brûle au-dehors comme un désert de gypse.
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j’ai conscience de la douleur qui est la vôtre, mais je dois aborder avec vous un sujet délicat – son visage est nimbé d’une lumière transparente et sa voix monte imperceptiblement d’un cran, absolument limpide quand il déclare :
- Nous sommes dans un contexte où il serait possible d’envisager que Simon fasse don de ses organes.

Bam. D’emblée. Thomas a posé sa voix sur la bonne fréquence et la pièce semble résonner comme un micro géant, un toucher de haute précision – roues du Rafale sur le pont d’envol du porte-avions, pinceau du calligraphe japonais, amortie du tennisman. Sean relève la tête, Marianne sursaute, tous deux chavirent leur regard dans celui de Thomas – ils commencent à entrevoir avec terreur ce qu’ils fabriquent ici, face à ce beau jeune homme au profil de médaille, ce beau jeune homme qui enchaîne avec calme. Je voudrais savoir si votre fils avait eu l’occasion de s’exprimer sur ce sujet, s’il lui est arrivé d’en parler avec vous.
Les murs valsent, le sol roule, Marianne et Sean sont assommés. Bouches bées, regards flottant au ras de la table basse, mains qui se tordent, et ce silence qui s’écoule, épais, noir, vertigineux, mélange l’affolement à la confusion. Un vide s’est ouvert là, devant eux…
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Marianne se tient au balcon, doigts que le froid scelle contre la rambarde métallique. De ce promontoire, elle surplombe la ville, l’estuaire, la mer. Des lampadaires à bulbes coques électrifiés par des ampoules orange surlignent les grands axes, le port et le littoral, flammes froides créant dans le ciel des auréoles poudreuses d'un gris Payne, les feux signalant l’entrée du port au bout de la grande jetée, tandis qu’au-delà du front littoral c'est noir ce soir, pas un seul bateau en rade, pas un clignotement mais une masse lente, pulsatile, les ténèbres.
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été 1992, un bivouac dans le désert près de Santa Fe, l'aube tie and dye, entre rouge corail et rose paume de singe, un feu bleuté, une tranche de bacon qui craque dans une poêle, du café dans des quarts en fer-blanc, la peur des scorpions tapis dans l'ombre froide des cailloux, la chanson de Rio Bravo, My Rifle, My Pony and Me, chantée ensemble, et Sean, la queue d'une brosse à dents barbouillée de dentifrice calée au coin de la bouche tandis qu'à l'autre extrémité du sourire grille une première Marlboro -, il hoche la tête : yes - la tente canadienne ruisselait de rosée, Marianne était nue sous son poncho frangé, des cheveux longs jusqu'aux fesses, et lisait en exagérant le ton déclamatoire un recueil de poèmes de Richard Brautigan trouvé au fond du car Greyhound qui les avait déposés à Taos.
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Ils seront seuls sur le line up quand surgira enfin celle qu'ils attendaient, cette onde venue du fond de l'océan, archaïque et parfaite, la beauté en personne, alors le mouvement et la vitesse les dresseront sur leur planche dans un rush d'adrénaline quand sur leur corps et jusqu'à l'extrémité de leurs cils, perlera une joie terrible, et ils chevaucheront la vague, rallieront la terre et la tribu des surfeurs, cette humanité nomade aux chevelures décolorées par le sel et l'éternel été, aux yeux délavés, garçons et filles n'ayant pour tout vêtement que ces shorts imprimés de fleur de tiaré ou de pétales d'hibiscus, ces tee-shirts turquoise ou orange sanguine, n'ayant pour tout soulier que ces tongs de plastique, cette jeunesse lustrée de soleil et de liberté : jusqu'au rivage ils surferont le pli.
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II s'approche de Claire pour un dernier mot : le cœur sera là dans trente minutes, il est splendide, il est fait pour vous, vous allez bien vous entendre.

Claire sourit : mais vous attendez bien qu’il soit au bloc avant de m'ôter celui-là n’est-ce pas ?

Harfang, étonné : vous êtes sérieuse ?
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On peut le voir à l'air libre, c'est fou, on peut un court instant appréhender sa masse et son volume, tenter de capter sa forme symétrique, son double renflement, sa belle couleur carmin ou vermillon, chercher à y voir le pictogramme universel de l'amour, l'emblème de la carte à jouer, le logo de tee-shirt - ILNY-, le bas-relief sculpté sur les tombeaux et reliquaires royaux, le symbole d'Éros le charlatan, la figuration du cœur sacré de Jésus dans l’imagerie dévote - l'organe exhibé à la main et présenté au monde, ruisselant de larmes de sang mais nimbé d'une lumière radiante - ou toute icône pour texto désignant le feuilletage infini des émotions sentimentales.
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et ils s'étreignent, une étreinte d'une force dingue, comme s'ils s'écrasaient l'un dans l'autre, têtes compressées à se fendre le crâne, épaules concassées sous la masse des thorax, bras douloureux à force de serrer, ils s'amalgament dans les écharpes, les vestes et les manteaux, le genre d'étreinte que l'on se donne pour faire rocher contre le cyclone, pour faire pierre avant de sauter dans le vide, un truc de fin du monde en tout cas....
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Il est temps, maintenant, de se tourner vers ceux qui attendent, dispersés sur le territoire et parfois au-delà des frontières du pays, des gens inscrits sur des listes selon l'organe à transplanter, et qui chaque matin au réveil se demandent si leur rang a bougé, s'ils sont remontés sur la feuille, des gens qui ne peuvent concevoir aucun futur et ont restreint leur vie, suspendus à l'état de leur organe. Ce truc d'avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête, faut imaginer ça.
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Le sens de ce transfert dont elle bénéficie par le jeu d'un hasard invraisemblable – la compatibilité inouïe de son sang et de son code génétique avec ceux d'un être mort aujourd'hui -, tout cela devient flou. Elle n'aime pas cette idée de privilège indu, la loterie, se sent comme la figurine en peluche que la pince saisit dans le fatras de bidules amoncelés derrière une vitrine de la fête foraine. Surtout, elle ne pourra jamais dire merci, c'est là toute l'histoire. C'est techniquement impossible, merci, ce mot radieux chuterait dans le vide.
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