L'oeil acéré de Maylis lançait en 2018, à l'écrivaine de
Kerangal, un nouvea
u défi littéraire, transcrire un métier qui répare le temps. La pente est de plus en plus ardue pour faire d'une nouvelle passion, une oeuvre accessible à tous. Diluer le temps pour redonner vie aux blessures en les gommant ou en les défiant, entre le travail du faussaire et la fausse piste
Maylis de Kerangal s'est peut-être trompé de registre, exécutant une partition bien élitiste.
Pourtant les recommandés des PTT étaient excellents. Pivot, Trapenard, Télérama avaient salué de 3 Trapenards, "
Un monde à Portée de Main" quand l'autodidacte
Serge Joncour n'en recevait que deux. Les amitiés de la villa Médicis avaient accompagné ces louanges. Je suis d'ailleurs scotché sur ses envolées lyriques, ainsi page 164, elle exprime une belle sensualité des doigts le long des veinules de marbre.
"C'est un marbre difficile, statuaire, une variété de carrare au fond d'un blanc pur, semé de mouchetures violettes et parcouru de veinules jaunes le long des brisures, comme si une rouille portuaire suintait des fentes de la pierre."
"Elle s'éclate ensuite à le peindre ce marbre dans les premières canicules de juillet",...Suit alors plus d'une longue page d'un seul tenant où l'on se noie, "dans son bleu Majorelle son ventre excité de plaisir". N'est ce pas trop, ou en fait-elle des caisses, page 191.
"A ses débordements de peaux, de nus, on oublie parfois le travail de l'atelier. »Ils sont imagés plus que décrits, page 56, l'idée que le trompe-l'oeil est bien autre chose qu'un exercice technique, bien autre chose qu'une simple expérience optique, c'est une aventure sensible qui vient agiter la pensée, interroger la nature de l'illusion et peut-être même c'est l'essence de la peinture. le trompe-l'oeil doit faire voir alors même qu'il occulte, et cela implique deux moments distincts et successifs : un temps où l'oeil se trompe, un temps ou l'oeil se détrompe si le dévoilement de l'impostura n'a pas lieu, ça signifie que l'on se trouve face à une supercherie".
Apprendre à imiter le bois c'est faire histoire avec la forêt.p 56
J'en suis baba d'extase, pour faire court.
En l'absence d'intrigue on se sent perdu comme ces trois personnages, Paula, Kate et Jonas, qui reprennent vie après les heures concentrées sur la préparation de la palette ; ainsi elle prépare : "une part de noir impérial, une part de terre de Cassel, que le pinceau incorpore par petites touches à mesure qu'elle accomplit la coalescence des images."
Je n'en sais pas beaucoup plus sur les techniques utilisées, mais j'ai happé cette très belle formule à utiliser pour travailler tous les supports, comme toutes les peintures, "cela revient à peindre de la peinture p 105".
Je crains que Maylis se soit éloignée comme moi.
La découverte des grottes de Lascaux le long de la Vézère, et le chantier de construction du deuxième site de Lascaux, pour en conserver toute l'intégralité dans sa splendeur originelle, écarté de toute pollution ultime, comblent les dernières pages.
Un dernier débordement amoureux viendra en apothéose dans cette grotte où l'on a mis au jour un poisson géant en 2001, un poisson géant vieux de 20 000 ans, quand les premiers hommes étaient venus peupler l'Europe. La découverte d'une chambre, ou se cachait un passage latéral, découvrait une galerie plus vaste encore, page 280, c'est là qu'ils "viendront peindre le cheval à crinière noire dont la course escortera le mouvement de la paroi en images préhistoriques pariétales".
Par leurs débordements, "Paula et Jonas explorent le plaisir comme une paroi sensible, comme s'ils se peignaient l'un l'autre, découvrant d'autres galeries encore plus vastes". Nos ancêtres ont du, eux aussi, certainement connaître l'extase .