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Critique de ODP31


Kessel aime les gemmes mais pas autant que l'aventure.
Impossible de lire un de ses récits de bourlingue sans l'imaginer assis sur un rocher inconfortable au milieu de nulle part en train de prendre des notes sur un vieux carnet écorné, le front en sueur et le visage buriné par l'écume de ses expériences passées.
Kessel n'a pas eu droit à une petite place dans le Lagarde et Michard mais il dispose de son strapontin dans mon Panthéon personnel. Il fait partie de ces auteurs dont la vie romanesque a perfusé les récits, ceux pour lesquels il faudrait créer une étagère à part dans les bibliothèques, celle des voyageurs révoltés. Je suis certain que Joseph Kessel ne serait pas contre le voisinage de Jack London.
Le lion ne pouvait résister à la jungle birmane et à la découverte de Mogok, la mystérieuse vallée des rubis. Embringué par un vieil ami à la recherche de pierres précieuses disparues, il partit au milieu des années 50 pour le plus grand gisement connu au nord-est de la Birmanie.
Terre sauvage à l'accès dangereux, infestée de rebelles et de moustiques, Kessel y découvre une société à part, très hiérarchisée, obéissant à ses seules règles et organisée autour de l'extraction, du polissage, du commerce et… du trafic des rubis.
La Birmanie était indépendante depuis 1948 (une indépendance négociée par le général Aung San, le père d'Aung San Suu Kyi). L'empire britannique s'était effacé et il avait laissé derrière lui quelques vieux baroudeurs rêvant de fortunes qui n'avaient pas pris de billets retours.
La population de Mogok était bigarrée et bagarreuse mais le rubis unissait tous ces chercheurs d'absolu. A force de gratter le sol des mines, ils vivaient en mitoyenneté avec l'enfer. Ils avaient pactisé pour que les mines continuent à saigner et offrent ces caillots qui font la fortune de certains chanceux et damnent les autres. Comme en science, il y a les éternels chercheurs et quelques rares trouveurs.
Kessel décrit dans ce livre les décors somptueux de Mogok qui donnent envie de remplir son sac de voyage et de passer une semaine en milieu hostile dans sa tente Quechua… au fond de son jardin, confinement oblige. Mais y'en a marre, je veux aller au Myanmar !
Dans ce récit autobiographique, la nature vit, saigne et emprisonne. le monde de Mogok tourne autour des rubis, pas du soleil. Cette dévotion pour un caillou incrusté dans l'écorce terrestre n'étonne guère quand on sait que le plus précieux rubis, le fameux "sang de pigeon" ne se cache que dans cette contrée et se négocie au même prix qu'un diamant. Ces merveilles passent encore aujourd'hui par les mains d'hommes et de femmes qui vivent dans la misère et n'en voient que la couleur. Kessel remonte presque toute la chaîne de production et de distribution. Il ne fuit que les joailleries et les cous fortunés.
Dans les années 50, le voyage pour se rendre sur place était déjà une aventure. Kessel ne fait que transiter en Inde mais il parvient par ses mots à nous encenser ses odeurs.
Le reste n'est qu'humanité. Une humanité brute, sans artifice, la seule dans laquelle l'auteur semble trouver la paix. Comme souvent chez Kessel, il est ici aussi beaucoup question d'amitiés viriles, celles qui ne se déclarent pas mais qui se témoignent à travers une fraternité silencieuse d'anciens combattants. Pas étonnant de la part du parolier du Chant des Partisans, écrit avec Maurice Druon. Montez de la mine, descendez des collines, camarades...
La lecture de ce récit ne tient pas à son intrigue, aussi rare que les rubis dans les filons épuisés de Mogok, mais dans ses couleurs et dans ses personnages réels qui paraissent pourtant moins vrais que nature tant ils sont travaillés comme les pierres précieuses qui les hantent.
Un beau voyage.
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