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sur 95 notes
Tenter de comprendre une fiction sans s'intéresser aux idées et à la vie de celui ou celle qui la crée relève de la gageure.
Pour la publication d'Un pays de fantômes chez Argyll, il semble indispensable de s'intéresser d'abord à son autrice : Margaret Killjoy.
Autrice transgenre et anarchiste revendiquée, Margaret Killjoy vit dans une communauté « autonome » des Appalaches, région montagneuse de l'Est des États-Unis. À la fois romancière et musicienne (au sein du groupe de Black Metal Feminazgûl), elle tient également un podcast survivaliste répondant au doux nom de Live Like the World Is Dying.
Un curriculum vitae qui en dit long sur les idées politiques et l'implication de Margaret Killjoy lorsqu'elle en vient à prendre la plume.
… Et ça tombe bien puisque c'est avec sa fantasy (forcément) anarchiste que débute sa publication dans l'Hexagone !

Un pays de fantômes ne perd pas de temps.
Il ne peut d'ailleurs pas se le permettre au vu de son nombre congru de pages. Narré par Dimos Horacki, journaliste pour la « Gazette de Borol », le roman nous emmène à la rencontre d'un peuple farouchement indépendant, celui de Hron. Envoyé par son Roi pour servir la propagande d'État de l'empire borolien, Dimos va vite s'apercevoir que l'armée de l'impitoyable général Dolan Wilder n'a rien de glorieuse. Au contraire : elle tue, brûle, torture et mutile quiconque se met en travers de son chemin. Dégoûté par les siens, notre journaliste est finalement fait prisonnier par un groupe de miliciens mené par Sorros et Nola. Au sein de cette Compagnie Libre de l'Andromède bleue, Dimos va parcourir Hron, découvrir ses us et coutumes et nouer des liens d'amour et d'amitié. Malheureusement, la Borolie n'a pas dit son dernier mot et la situation semble désespérée pour cette utopie perdue dans les montagnes…
Le mot est donc lâché : utopie.
À l'heure où la dystopie a le vent en poupe au sein de l'imaginaire, Margaret Killjoy tente de créer un univers fantasy en décalage avec les poncifs pessimistes habituels.
Si le roman commence par une plongée dans un corps d'armée borolien, avec toute la violence et la barbarie que cela suppose, il se tourne vite vers l'exploration de la vie en Hron une fois Dimos passé de l'autre côté du miroir.
On ne sera guère surpris de voir que l'utopie de Margaret Killjoy n'est pas autre qu'une mise en application de l'anarchie à l'échelle d'un pays complet. Enfin, si le mot « pays » a encore un sens dans cette optique.
Mais plutôt que de transformer son récit en un essai barbant et forcément attendu, l'américaine choisit de l'enchâsser dans le récit d'une résistance, celle du pays de Hron, face à une puissance étrangère impérialiste, la Borolie.
Il en résulte une aventure crédible où l'on s'attache aux personnages et où l'on espère avec eux. En somme, Un pays de fantômes parvient à être littéraire avant d'être politique.

Pour bien comprendre ce qu'est Un pays de fantômes, il faut savoir qu'il s'agit d'une fantasy dénuée de tout type de magie, d'évènements fantastiques et autres créatures surnaturelles. Une fantasy qui préfère le pistolet, la mitrailleuse et le gilet d'argile pare-balles aux épées et cottes de mailles.
Sur ce fond hard fantasy dans la droite lignée des Récits du Demi-Loup de Chloé Chevalier, l'autrice américaine déploie son idée de l'utopie en la faisant vivre à travers la camaraderie des uns et des autres, en confrontant le point de vue d'un étranger (Dimos) aux habitants d'Hron, civils ou combattants. Ainsi, il s'agit de comprendre l'anarchie à hauteur d'hommes en tentant d'en expliquer les rouages et les motivations, les failles et les avantages. La force du récit de Margaret Killjoy, c'est qu'il n'est pas là pour imposer une idée mais pour l'exposer… tout en laissant de véritables enjeux derrière, à savoir la liberté du peuple Hron et le combat pour sa survie pure et simple.
En choisissant un journaliste comme narrateur, Margaret Killjoy fait coup double : elle permet à la fois d'avoir l'avis d'un étranger sur une société différente de la sienne et d'insister sur le rôle fondamental du journalisme pour rendre compte du réel envers et contre tout. On pense parfois aux Jardins Statuaires de Jacques Abeille, avec pour point commun de porter un regard extérieur sur une société nouvelle pour son héros-narrateur afin de mieux la comprendre (et de la critiquer).
Malgré sa bienveillance évidente envers l'utopie anarchiste représentée par Hron, Margaret Killjoy en teste aussi les limites notamment avec Karak, société de bannis et d'anti-sociaux qui ont constitué leur propre cité en réaction à leur ostracisation d'Hron.
Ce qui marque cependant dans le récit de l'américaine, c'est la volonté de livrer quelque chose de singulièrement différent, une tentative de société dans laquelle le mot liberté prend tout son sens. Où l'on décide de tout collectivement, où l'on prend ses responsabilités vis-à-vis de soi et des autres, où l'on s'attache à l'indépendance plutôt qu'à la soumission.
Et mine de rien, aussi naïve qu'elle puisse paraître parfois, cette utopie fait du bien au lecteur. Elle incite à repenser nos acquis et à s'interroger sur nos valeurs tout en délivrant un message sur le caractère belliqueux des empires, sur la vision conquérante d'un système fondamentalement oppressant où l'être humain finit seul, abandonné, isolé, négligé. La lutte des miliciens d'Hron rappelle les combats désespérés des peuples à travers L Histoire pour conserver leur mode de vie face à l'envahisseur. On pense aux amérindiens, aux africains et, plus généralement, à tous les peuples agressés par des empires expansionnistes à travers l'histoire.
Un pays de fantômes est tout autant un roman d'ouverture et de découverte qu'une ode à la résistance et à la révolte. Margaret Killjoy comprend que l'utopie ne veut pas dire pacifisme et que la violence reste parfois nécessaire pour assurer sa propre survie. Pas étonnant de retrouver l'auteur d'Un Enfant de Poussière, un certain Patrick K. Dewdney, à la préface…

On pourrait croire arrivé ici que la lecture d'Un pays de fantômes relève plus du tract politique qu'autre chose. Il n'en est pourtant rien.
Comme nous l'avons mentionné plus haut, Margaret Killjoy a l'intelligence de construire des personnages émouvants, du milicien Sorros à la générale Nola en passant par le jeune Grem et le révolutionnaire Vyn.
Les relations qui se tissent entre eux et le narrateur, Dimos, permettent au récit d'en devenir touchant et tragique, redonnant à la fiction sa place principale pour toucher le lecteur tout en l'interrogeant.
C'est par la lutte désespérée du David hronien face à l'écrasant Goliath borolien que le roman trouve toute sa force. Il parvient ainsi à justifier son propos politique qui, de ce fait, n'apparaît plus comme un prétexte mais comme un moteur de l'intrigue.
Il en résulte une histoire où l'on espère et où l'on croit, même l'espace d'un instant, que cette utopie anarchiste soit possible. C'est forcément, en soi, une sacrée réussite.

Roman hautement politique mais aussi et surtout éminemment humain, Un pays de fantômes s'aventure sur le terrain de l'utopie pour s'interroger sur les limites notre société de lois et d'ordre. Margaret Killjoy écrit la résistance et l'existence, et c'est finalement le lecteur qui est conquis à la fin.
Lien : https://justaword.fr/un-pays..
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Pour faire court : Une société anarchiste plus ou moins solarpunk se fait envahir par son voisin à l'ouest. le voisin est un empire colonial industriel steampunk. Les anarchistes doivent donc s'allier avec leurs voisins de l'est : les libertariens.

Si ça n'est pas une bonne prémisse de roman, je ne sais pas ce que c'est!

Margaret Killjoy, militante anarchiste trans, se sert de cette histoire comme prétexte pour explorer à quoi ressemblerait une société anarchiste fonctionnelle, ses défauts et ses limites. Elle s'interroge aussi sur les différences idéologiques entre l'anarchisme et le libertarianisme, leurs différentes conceptions de la liberté, et tout ça.

Vraiment bien fait si le sujet vous intéresse.

Ça reste toutefois moins nuancé et poétique que Les Dépossédés de Ursula le Guin, que je recommanderais d'abord à quiconque se questionnerait sur l'anarchisme.
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Un journaliste est envoyé réaliser un portrait hagiographique d'un général sur le front. Même s'il sait que c'est de la pure propagande, il n'a pas le choix : il a auparavant écrit un article qui a déplu à certaines personnalités haut placées et son poste est menacé. Ce reportage est l'occasion de montrer sa bonne volonté. Mais il se retrouve en pleine guerre de conquête : la Borolie, son pays d'origine, tente d'envahir sous des prétextes fallacieux, la région des Cerracs, territoire montagneux habité, selon le pouvoir, par des sauvages qu'il faudrait « civiliser ».

Selon le Larousse en ligne, l'anarchisme est une « conception politique et sociale qui se fonde sur le rejet de toute tutelle gouvernementale, administrative, religieuse et qui privilégie la liberté et l'initiative individuelles. » Pourquoi ai-je ressenti le besoin de commencer par cette définition ? Parce que ce roman est, sous couvert d'aventures, un moyen de découvrir le fonctionnement de sociétés respectant cette idéologie. Margaret Killjoy est une autrice américaine « anarchiste, féministe et anti-fasciste » pour reprendre sa page Wikipedia qui vit actuellement dans les Appalaches. Et plus précisément (et c'est là ce qui m'intéresse) dans une zone habitée par des anarchistes, une sorte de communauté en fait. Donc, l'anarchisme, elle connaît. Elle le vit. Et, dans ce roman au beau titre, elle nous le fait connaître.

Nous suivons donc, dans ce roman, les pas de Dimos Horacki, journaliste condamné aux « chiens écrasés » depuis un article gênant. Il habite la Borolie, un état dirigé d'une main de fer par ses dirigeants et dont les institutions permettent la main mise sur la population. Même si Dimos juge certains côtés de sa société injustes ou liberticides, il ne pense pas à se révolter. C'est ainsi que les habitants se laissent diriger sans réagir. Certains pourront penser que cela ressemble en partie à nos sociétés modernes. D'autres trouveront cette comparaison excessive. Margaret Killjoy ne dit rien, se contente de laisser son lecteur faire ses propres choix. Et pour cela, elle lui offre un panorama de ce que propose l'anarchisme. Ou plutôt, les anarchismes. Au pluriel. Car, comme va le découvrir Dimos, les peuples des Cerracs ne pensent pas tous la même chose, ne sont pas tous d'accord entre eux, n'attendent pas la même chose d'une société. Mais ils sont tous plutôt anarchistes.
Revenons rapidement à l'histoire : Dimos est donc envoyé pour faire un portrait de Dolan Wilder, « jeune loup issu de l'armée impériale de Sa Majesté ». le but ? Justifier la campagne menée dans les Cerracs, habités selon les autorités, par des sauvages ignorants que les enfants de Borolie viendront civiliser. Que les sous-sols de cette région montagneuse soient riches de ressources précieuses n'a bien sûr aucun lien avec cette invasion ! Mais, et je ne divulgâche pas beaucoup puisque cela intervient rapidement, Dimos est fait prisonnier par la Compagnie Libre de l'Andromède bleue. Quel nom ! Cette troupe lutte contre l'envahisseur, malgré son petit nombre. Dans ce groupe, pas de leader, pas de chef. Les prises de décision sont collectives. Avec des règles définies : chacun peut donner son avis, chacun peut prendre la parole, en respectant les autres.

Et c'est là que l'histoire devient fascinante. Car Dimos va voyager à travers cette région et même de groupe en groupe. Je ne raconte pas les péripéties qui vont le mener d'un endroit à un autre, elle font partie du plaisir de découvrir que je ne voudrais pas gâcher. Sachez seulement qu'elles font leur boulot et que les pages se tournent rapidement : l'ouvrage est agréable et rapide à lire. Mais ce qui m'a le plus intéressé dans ce roman, outre les tribulations de Dimos et ses interrogations, ce sont les miennes, justement, d'interrogations. Car le fait de promener Dimos comme un Candide, totalement ignorant du concept d'anarchisme, à travers une telle région est évidemment un moyen très intelligent de permettre au lecteur de découvrir les bases d'une telle pensée. En fait, Un pays de fantômes c'est un peu « L'anarchisme pour les nuls » ou « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l'anarchisme sans oser le demander ». Et comme texte d'initiation, c'est une réussite. Car Margaret Killjoy ne se montre pas sectaire, ni prosélyte. Elle propose au contraire un panorama très nuancé de ce qu'offre l'anarchisme. Et n'hésite pas à montrer ce qui ne fonctionne pas, ce qui manque d'efficacité. Et les dissensions : on découvre même une région qui s'est séparée du groupe principal, car ses habitants ne veulent pas respecter les règles principales. C'est pourquoi ce roman est si agréable à lire et si important. de par le parcours de son autrice, il acquiert une certaine légitimité et de par sa forme, très réussie, il attire le lecteur.

Un pays de fantômes a été pour moi une très bonne surprise, car je ne savais pas du tout à quoi m'attendre en l'ouvrant. J'y ai découvert un témoignage romancé attachant et passionnant, qui m'a ouvert des portes et m'a amené à réfléchir à certains éléments de notre société qui mériteraient sans doute d'être repensés. J'ai également pris beaucoup de plaisir à suivre les tribulations de Dimos, le personnage principal, double du lecteur. Un voyage à ne pas rater.
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Un livre étendard à l'anarchie, pourquoi pas. Vu la décadence de notre système, les sfff servent aussi à se demander à quoi ressemblerait une société d'une autre nature, ses avantages, ses limites. J'aime l'étalage de possibles, mais j'ai du mal à y croire si c'est fait sans nuances.
Hors dans ce livre le parti pris est grossier: l'autrice met en scène une guerre dont les capitalistes sont les colons, tandis que les anarchistes se battent pour résister à la colonisation. Notre petit coeur de lecteur penche déjà forcément pour les opprimés mais elle enfonce le clou: Les colonisateurs sont des brutes épaisses, homophobes, qui se foutent de l'écologie, qui maltraitent leurs animaux, sourds et aveugles à l'art, et viandards (Bouh!) tandis que les colonisés sont respectueux, en couples libres, pratiquent une géothermie de pointe, aiment leurs chevaux et chiens géants, font route pour la guerre en chantant et jouant du pipeau et sont végétariens. C'est bon, tout le monde est convaincu que la liberté rend les gens meilleurs? Moi, même si on me le dit, je ne suis pas une fille facile et je demande à être convaincue.
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le reproche que je fais souvent aux sff est de placer le message (souvent de remise en question sociale et politique, c'est très radicalement le cas ici) avant le contexte du livre, de ne pas soigner les personnages, ni l'univers dans lequel il évoluent.
Hors dans ce livre, comme il était plus difficile, risqué, et demandait une certaine culture, d'imager des propos politiques avec des pays existants, on en a tout simplement inventé d'autres. Ainsi la Borolie se situe sur une péninsule, tandis que Hron, clan ennemi est accolé à la Vorronie, et possède une chaîne de montagne les Cerracs...Vous avez voyagé? Moi, pas suffisemment. le tout se passe dans une sorte de temps moyen-âgeux, comme beaucoup d'autres récits du même type imaginaire (la horde du contrevent, le monde inverti, un long voyage...) avec toutefois beaucoup moins d'imagination déployée.
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J'ai toujours été plus sensible aux messages qu'on ne voit pas venir dès les premières pages d'un livre, aux détours tortueux des auteurs qui savent "cueillir" leur lecteur, l'émouvoir l'étonner au moment où il s'y attend le moins et finalement lui donner -au moins la sensation- d'avoir grandi le temps d'une lecture (voire même laisser un sillage un peu plus profond).
Hors dans ce livre tout est très frontal, et au premier degré. Pas d'humour, rien qui dépasse. On aime pourtant reconnaître que le chemin est plus enrichissant que le but...
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Voilà donc un livre que je ne qualifierais pas de marquant. Néanmoins le début du cheminement du personnage que l'on suit, un journaliste au départ embauché par les colons pour glorifier leur politique expansionniste, m'a tristement fait penser aux pantins que nous serions tous en temps de guerre: balloté d'un camp à l'autre, parce qu'il faut bien choisir un camp, et en quête de repères et du sens de tant de souffrance. Un personnage touchant dont j'ai suivis le parcours sans déplaisir.

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« Nous ne vous confions pas ce travail parce que vous êtes le meilleur. C'est une tâche importante mais dangereuse, et vous êtes le meilleur reporter que nous puissions nous permettre de perdre. » C'est par ces mots que le journaliste Dimos Horacki apprend par son rédacteur en chef qu'il va être envoyé sur le front pour couvrir la guerre qui agite actuellement l'empire borolien. Officiellement, il s'agit de réaliser un portrait du général chargé de mener les opérations sur place. Officieusement, l'objectif est de réveiller les instincts patriotiques du peuple qui commence à fléchir et à questionner le bien-fondé de la politique expansionniste borolienne. Bref, on l'envoie faire de la bonne vieille propagande. Voilà donc notre héros en route pour les Ceracs, territoire montagneux isolé que les troupes de l'empire s'attendaient à coloniser facilement, comme elle l'avait fait du reste de la région. C'était toutefois sans compter la résistance de Hron et de ses alliés, de nombreuses communautés disparates mais réunies sous la bannière de l'anarchisme. Il ne faudra pas longtemps pour que les convictions du journaliste, déjà vacillantes, ne soient totalement remises en cause par sa rencontre avec celles et ceux qui entendent bien défendre leur indépendance et leur mode de vie face à l'avide adversaire borolien. « Un pays de fantômes » est en quelque sorte une utopie, une utopie anarchiste qui n'a, pour une fois, rien des clichés ordinaires qui veulent que l'absence de pouvoir et de domination se traduise inévitablement par le chaos. L'autrice, Margaret Killjoy, se revendique elle-même de cette idéologie politique, et c'est avec beaucoup d'habilité qu'elle va initier le lecteur néophyte aux principes qui régissent l'anarchisme. Rassurez-vous, le roman n'a toutefois rien d'un pamphlet ou d'un ouvrage de propagande. le propos est, certes, très politique, mais à aucun moment l'histoire ne paraît servir de simple prétexte à la transmission d'un message purement idéologique.

L'objectif de l'autrice est cependant bel et bien de proposer une vision réaliste de ce que pourrait être une société anarchiste. Inutile de vous dire que le résultat n'a que peu à voir avec les stéréotypes qui fleurissent concernant ce courant et l'assimilent volontiers au chaos ou à l'irréalisme. Nous avons affaire ici à une société cohérente et mouvante que les personnages eux-mêmes se gardent bien d'idéaliser mais dont ils défendent tout simplement le droit à exister. Et il faut bien admettre que, que l'on soit sympathisant de la cause ou non, il est agréable de voir de nouvelles formes d'organisations politiques apparaître en fantasy, au-delà du traditionnel empire qui continue à demeurer le cadre principal de beaucoup de romans du genre. On prend ainsi énormément de plaisir à découvrir les spécificités de ces rebelles anarchistes, le tout par les yeux de Dimos, le fameux journaliste, qui constitue une porte d'entrée parfaite vers cette alternative politique. Notre héros se retrouve dans la posture du voyageur candide à qui il faut tout expliquer, ce qui ne l'empêche toutefois pas de faire preuve d'esprit critique et de questionner sans relâche les spécificités du mode de vie anarchiste qui lui sont exposées. Rassurez-vous une fois encore, le roman n'a rien d'une simple « promenade pédagogique » qui viserait à simplement exposer les particularités de l'utopie de l'autrice (rien à voir par exemple avec « Ecotopia » qui, lui aussi, mettait en scène un journaliste mais qui tombait par contre complètement dans cet écueil). le récit est au contraire très riche, bourré de péripéties savamment distillées pour donner du rythme à l'ensemble. On ne s'ennuie donc pas une seconde, et on est même souvent surpris par le cours des événements ou par des scènes courtes mais intenses et qui viennent faire totalement basculer l'histoire. La tentation est donc grande de dévorer le roman d'une traite, d'autant que celui-ci ne compte que deux cent pages.

Parmi les nombreux points forts de l'ouvrage, on peut également citer les personnages dont beaucoup laisseront une marque durable dans la mémoire du lecteur. A titre personnel, cela faisait longtemps que des héros et héroïnes de fiction ne m'avait pas autant remuée ! Dimos, évidemment, campe un protagoniste remarquable, à la fois pour la conscience qu'il a de ses propres travers et limites, mais surtout pour sa capacité à remettre en cause le cadre imposé par l'empire et à être touché par des individus totalement différents de lui. Les anarchistes qui vont croiser sa route sont eux aussi bouleversants d'humanité, chacun d'une façon très différente. L'autrice se garde toutefois bien d'un traitement manichéen qui opposerait les bons et gentils anarchistes aux méchants boroliens, même si, bien sûr, la répression subie par Hron et l'invasion de leur territoire rappelle le sort réservé aux populations colonisées et aux opposants politiques partout dans le monde, ce que ne peut que rendre les individus défendant cette cause plus sympathiques. Tout est bien plus complexe, et par conséquent plus intéressant que ça puisque tous n'ont pas la même vision de ce que devrait être Hron et de la façon dont ses habitants devraient s'organiser. Il n'est pas non plus question pour Margaret Killjoy de gommer les difficultés auxquelles peuvent être confrontés les personnages, ni de passer sous silence leurs failles, leurs contradictions, voire leurs manquements. Difficile, enfin, de ne pas se sentir touchés par la joie et l'amour qui animent celles et ceux défendant la cause de Hron et qui, comme l'explique très justement Patrick Dewdney dans sa préface, permet de mieux cerner « comment on peut donner sa vie, très librement, très facilement, pour une idée. » Et celui-ci de poursuivre : « Ça n'a rien à voir avec le nihilisme du « Viva muerte » fasciste. Il ne s'agit pas d'une question de vie ou de mort. Il s'agit seulement d'amour. » Voilà qui résume merveilleusement bien le propos de cet ouvrage.

Avec « Un pays de fantômes » Margaret Killjoy met en scène une utopie fondée sur l'anarchisme, s'extrayant ainsi d'un cadre politique habituellement peu questionné en fantasy et proposant une alternative qui n'a rien ici de déraisonnable ou d'irréaliste. Porté par des personnages touchants et une intrigue bien construite, l'ouvrage se lit à une vitesse folle et s'inscrit indéniablement parmi les romans de fantasy les plus inspirants et les plus émouvants qu'il m'a été donnée de lire ces dernières années.
Lien : https://lebibliocosme.fr/202..
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Dimos Horacki, journaliste de Borolie qui a besoin de reprendre du galon dans le métier suite à un reportage qui n'a pas plu il y a quelques années, est envoyé sur le front des Cerracs, territoires montagneux que les Boroliens sont en train de coloniser, pour réaliser un nouveau reportage, cette fois dans le but de porter aux nues le général Dolan Wilder, et d'assurer la propagande de l'empire. Mais ce qu'il découvre sur place lui donne tout sauf envie de glorifier le général et l'empire, et son premier papier, qui raconte l'inhumanité du conflit et des comportements des soldats envers la population, va faire basculer son existence à un point auquel il ne s'attendait pas du tout, et le mènera à la rencontre inattendue des "ennemis", qui ont nommé les Cerracs Hron, et qui se présentent comme anarchistes, bien à l'opposé des Boroliens.

A travers cette chronique d'une guerre entre deux civilisations, entre deux façons de voir et d'envisager le monde et la société, Margaret Killjoy nous propose une histoire passionnante à lire, qui alterne habilement entre scènes qui font avancer l'intrigue, et explications sur ce qu'est, pour elle, un fonctionnement anarchiste, bien loin des caricatures habituellement présentées, au contraire tout en objectivité, permise par les questions que se pose, et pose Dimos à ce sujet, ayant lui-même toujours vécu dans l'autre système. Ainsi, les bons, comme les mauvais côtés, sont décrits, laissant toute latitude au lecteur quant à ses propres réflexions et questions ; le choix de l'autrice est, quant à lui, fait, ce qu'elle nous montre tout aussi habilement par la description d'Hron, sans pour autant moraliser son propos, ce qui est fort agréable.

Je regrette peut-être seulement sa brièveté : en effet, finalement, tout se passe un peu trop vite, de l'arrivée de Dimos sur le front jusqu'au dénouement qui scelle son destin, et celui de la guerre contre Hron. J'aurais aimé rester un peu plus longtemps dans cet univers apprécié et appréciable.
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Malheureusement, le fantôme d'Ursula le Guin a hanté tout du long ma lecture, et Margaret n'est pas Ursula...

En me promenant sur les étagères de ma médiathèque numérique, je tombe sur ce roman qui me faisait de l'oeil depuis une critique dans la revue Bifrost. Très heureux de voir que la petite maison d'édition Argyll fait désormais partie de mon offre numérique, je télécharge et lis illico. Un jeune journaliste mis au placard est envoyé sur le front d'un pays imaginaire. Il va découvrir une société étrange où chacun fait ce qu'il veut, tout en respectant l'autre. Des anarchistes ?

Il y a des livres qui ne supportent pas la comparaison, Un pays de fantômes en fait malheureusement les frais. Je venais tout juste de finir Les dépossédés d'Ursula, un Monument sur le mode de société anarchiste, le moment me semblait donc idéal de poursuivre l'aventure. le désenchantement arrive cependant assez vite : que c'est candide ! Alors qu'Ursula te montre, Margaret dit, d'où de nombreux passages didactiques sur les anars. Heureusement, Margareth nuance son propos mais cela reste assez univoque. Les personnages m'ont semblé bien peu caractérisé, j'ai eu beaucoup de mal à savoir qui était qui au fil du récit.

Ajoutez à cela une trame linéaire et classique, le journaliste qui avait trop bien fait son travail se retrouve au placard, et devient d'une naïveté confondante face à l'altérité. Il retourne donc sa veste bien trop rapidement à mon goût, sans faire le travail d'investigation nécessaire. Ça se lit sans mal, la fin évite le happy end, mais rien n'y fait, cela me semble bien fade. Conclusion : mieux vaux lire cette histoire de fantômes et poursuivre avec Les dépossédés pour ne pas subir de déconvenues.
Et me voilà bien triste de devoir dire du mal d'un roman mettant en avant une société anarchiste...
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👻Chronique👻


« Exprimer mon opinion ne faisait pas partie de mon travail. »

Qu'on se le dise, Dimos Horacki ne sera jamais un journaliste moralisateur. Il l'a fait une fois, et s'en est mordu les doigts, et maintenant qu'il est en disgrâce d'un côté comme de l'autre des deux empires, il ne lui reste pas beaucoup d'option pour exprimer ne serait-ce que, quelque chose. Et pourtant, cet homme va traverser une situation inédite en étant à la solde d'un groupe révolutionnaire pour le moins atypique. Mais leurs valeurs vont commencer à prendre vie, ce qui parait totalement incongru alors qu'il marche sur Un Pays de fantômes….Dimos Horacki se retrouve donc, en mission-reporter, au milieu d'un conflit armé, à tenter d'apporter une vérité sur les efforts de guerre. Mais la vérité est multiple et les points de vue, divers et variés. Alors que va-t-il donc apprendre, exprimer, défendre, une fois qu'il aura rencontré la Compagnie Libre de l'Andromède bleue? La vérité est forcément ailleurs, et il vous faudra foncer vers cette histoire passionnante et mouvementée pour saisir toutes les subtilités de la liberté qui bruissent dans les montagnes Cerracs…

« Et nous risquons nos vies de notre plein gré. En quoi serait-il approprié qu'on me dicte comment je dois mourir? le choix ne m'appartient-il pas? »

Quel choix nous appartient? Dans ce livre, je me suis posée pas mal de fois cette question, car si c'est bien en fantasy que l'on rentre, c'est aussi une porte ouverte sur une réflexion politique. Et c'est pour cela, que j'aime tant aller en imaginaire, c'est pour cette exploration et ces dynamiques socio-politiques poussées au-delà d'une certaine limite, et regarder ce qu'il en ressort. En effet, les notions de liberté, d'anarchie, de guerres expansionnistes, d'utopie viennent hanter Un pays de fantômes. Et nous aussi, par la même occasion, et c'est heureux. Car nos fantômes sont si omniprésents, qu'on se dit qu'il est peut-être temps de repenser nos fonctionnements. L'Histoire nous a prouvé que le capitalisme est un système qui a ses limites. Entre ses lois liberticides, son intolérance et sa folie destructrice et dévorante, les plaies de ce système sont profondes et purulentes, dans ce monde comme dans cette utopie mystérieuse... Avec cette lecture, nous avons le choix de l'alternative. le choix de l'anarchisme. Une proposition réflexive, du moins, présentée sur un plateau d'argent. Loin d'être cette idée décriée du chaos, Margaret Killjoy ouvre plutôt, et avec brio, un possible où la liberté est le nouvel Eden. Certes, comme tout idée politique, l'anarchisme est plurielle et imparfaite, mais intéressante dans son potentiel. Grâce à ce journaliste candide et ignorant de ces façons de vivre, de se sacrifier, ou d'embrasser cette cause, nous pouvons entrevoir, et c'est très édifiant, que l'indépendance assumée d'un être, d'une communauté, d'un pays est la plus grande peur de ces empires colonialistes destructeurs et avides de pouvoir. Donc on se s'étonne pas que l'idée le séduise mais qu'il la questionne aussi, forcément, avec beaucoup d'entrain, tellement elle est aux antipodes de ce qu'il a acquis jusqu'ici entre les frontières de la Borolie…Alors finalement, est-ce que ce n'est pas à nous, et à eux, effectivement, de décider, comment va-t-on vivre ou mourir? Est-ce que la liberté totale n'est pas le chemin à envisager pour un nouveau départ solidaire? Je vous laisse voir cela par vous-même, mais en tout cas, j'ai adoré ce détour intelligent et déconstructeur par le Pays de Fantômes…Ne reste plus qu'à vous dire que l'émotion est aussi épique que son message, mais qu'on en revient avec un coup de coeur, car aussi bien le style que le fond, est « bigrement meilleur que tout ce que j'ai pu voir ailleurs. » Petit clin d'oeil à Nola, ma chouchou badass et fabuleuse que nous avons la chance de suivre aux côtés de Dimos…

« Tout ce qu'il reste d'eux, c'est cette conversation, leurs corps qui pourrissent dans la terre et les brides de libertés qu'ils nous ont apportées par leur sacrifice. »
Lien : https://fairystelphique.word..
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Dimos Horacki est un journaliste, envoyé sur le front pour brosser le portrait flatteur d'un général borolien à la carrière fort prometteuse. Tombé dans un guet-apens tendu par les ennemis de l'empire, il est arrêté par ces derniers et conduit au coeur des montagnes des Cerracs. Là-bas, il va découvrir l'envers du décor qui n'a rien avoir avec la propagande assénée par l'empire. En effet, il fait la rencontre d'hommes et de femmes se battant pour la liberté. Il découvre surtout l'horreur de la guerre portée au sein de ce territoire qui n'aspirait qu'à la paix. Fortement ébranlé dans ses croyances les plus intimes, choisira-t-il la fuite ou le combat ?

Un pays de fantômes nous immerge dans un monde fictionnel où un empire affiche des velléités expansionnistes. En effet, la Borolie a déclaré la guerre à ses voisins pour agrandir son territoire et s'emparer des ressources minières de fer et de charbon.

Point de magie entre ces lignes, juste des idéaux portés par des hommes et des femmes en quête de liberté.

En nous attachant aux pas d'un journaliste encarté par la politique de son pays qui se retrouve abandonné aux mains de l'adversaire, Margaret Killjoy confronte deux mondes opposés. Ce sont deux modèles politiques, économiques et sociaux totalement différents avec d'un côté, un état impérial gouverné par un roi, édictant des lois auxquelles la population doit se conformer et disposant d'une grande armée pour mener les conquêtes, et de l'autre côté, des cités autonomes et harmonieuses fonctionnant sur la base de l'entraide.

Dans Un pays de fantômes, Margaret Killjoy dessine les contours d'une utopie prônant un idéal social qui repose sur le partage et la solidarité. L'argent est proscrit et tout acte criminel est frappé d'ostracisme. Taxé d'anarchiste par le pouvoir borolien, la Vorronie se retrouve donc envahie car le chaos associé à cette école de pensée sert ici de prétexte au conflit armé qui apparaît comme le seul moyen de rétablir l'ordre.

Un pays de fantômes est donc également une critique du colonialisme car l'autrice s'est attachée à nous en montrer les terribles conséquences sur la population locale. Ainsi, les villages sont pillés et incendiés. Les habitants sont assassinés. le récit est brutal et douloureux. Bien que pacifistes, certains ou certaines n'ont pas d'autre choix que de prendre les armes pour se défendre. L'ambiance est lourde et la tension, latente. L'affrontement final est inévitable car ces apprentis mercenaires ne pourront pas user à l'éternel des techniques de la guérilla pour frapper vite, par surprise et se replier rapidement par la suite.

Avec ce roman, Margaret Killjoy signe un récit engagé fourmillant d'idées brillantes. Plus que de démontrer qu'une autre manière de vivre ensemble est possible, elle pointe les dysfonctionnements du système capitaliste, ainsi que ses dérives autoritaires. Finalement, la répression judiciaire ne fonctionne pas et l'économie de marché favorise l'injustice enterrant par la même occasion la fraternité.

Le choix de la profession du protagoniste principal nous apparaît d'autant plus pertinent au vue du contexte car cela met en exergue le rôle majeur des médias dans la propagande politique. Pour rappel, on est face à un journaliste envoyé sur le front pour glorifier l'armée et justifier ses actes. Mais, par un concours de circonstances, ce dernier découvre une autre vérité changeant à jamais sa vision des choses. Ainsi, il va se réapproprier sa plume pour coucher sur le papier une autre histoire tissée d'espoir, de courage et de sang. Par cette entremise, Margaret Killjoy rappelle la puissance des mots et le poids de l'information.

Gros coup de coeur pour ce texte aussi incisif que bouleversant. Sans temps mort, Margaret Killjoy nous entraîne à la rencontre de personnalités marquantes évoluant dans un monde séduisant par bien des côtés. A lire et à partager sans modération... plus sur Fantasy à la Carte.


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Un récit prétexte à une présentation du mode de fonctionnement d'un ensemble de communautés anarchistes à l'échelle d'un pays, finalement assez bien mené.

Le livre de Margaret Killjoy ne s'embarrasse pas de faux-semblants, le but avoué est clairement d'édifier le lecteur, de l'instruire des méthodes et des modes d'organisations de communautés anarchistes, à la fois au sein de celles-ci et entre elles. Pour autant, le récit n'est pas oublié, les personnages sont solides et nuancés, et les péripéties ne manquent pas. Certains dialogues apparaissent clairement comme nécessaires à la démonstration plus qu'au récit proprement dit, toutefois cet aspect didactique n'est ni lourd, ni exagéré et cela passe sans douleur à la lecture. La présentation n'est pas trop manichéenne et la cité de Karak et ses habitants proposent une lecture différente des idéaux de Hronople.

Pour finir, ce fut une lecture agréable mais il faut reconnaître que l'on n'est pas au niveau de nuance, de richesse et de finesse d'Ursula le Guin, en particulier dans Les Dépossédés.
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