Fin de mission

- regardez-le, en train de sourire comme un pédé dans un arbre à bites.
C'est une expression de sergent instructeur que Curtis adore.

On a supposé que le gosse avait pris l'AK de son père quand il nous a vus là, dehors, et il s'est dit qu'il allait jouer au héros en tirant à l'aveuglette sur les Américains. S'il avait réussi, j'imagine qu'il serait devenu la star du quartier. Mais apparemment, il ne savait pas viser, sinon Timhead et moi, on était foutus. Il était à moins de cinquante mètre, il nous a arrosés au petit bonheur, presque toutes ses balles sont parties dans les nuages.
Comme nous tous, Timhead avait vraiment appris à se servir d'un fusil, et il s'était entraîné sur des cibles en forme de silhouettes humaines. La seule différence entre elles et le gosse, c'était que sa silhouette à lui était plus petite. L'instinct a prévalu. Il a touché le gamin trois fois avant que celui-ci ne tombe à terre. A cette distance, impossible de rater. La mère du garçon s'était précipitée pour essayer de tirer son enfant à l'intérieur de la maison. Elle est arrivée juste à temps pour voir son épaule voler en éclats.
Il n'en a pas fallu plus pour que Timhead prenne ses distance avec la réalité.

La propagande est sophistiquée. Ce ne sont pas seulement des pamphlets et des affiches. En tant que soldat spécialiste des opérations d'influence, comme tout le reste de l'armée, tu fais partie dun dispositif militaire.le langage est une technologie. Ils m'ont appris à l'utiliser de manière à augmenter l'efficacité létale de mon unité....
On passait des conneries dans nos haut-parleurs pour emmerder les djihadistes. Eminem, AC/DC et Metallica, à fond. Surtout quand ils essayaient de communiquer entre eux avec leur propres haut-parleurs...
Les marines faisaient des concours, c'était qui trouverait les pires insultes imaginables. Et ensuite, on allait hurler ça dans nos haut-parleurs, on se moquait des insurgés qui étaient planqués, jusqu'à ce qu'ils se ruent hors de leurs mosquées pour foncer sur nous, fous de rage et on les mitraillait....
Ce qui s'est passé, ce dont j'ai fait partie, peut-être que c'était la chose à faire. Les gens qu'on a combattus étaient très mauvais, Mais c'était affreux.

- il y a une chose que vous pourriez faire pour moi. Vous voulez bien me rendre un petit service ?
- Bien sûr, sergent.
Il pointe le doigt sur mon alliance.
- Enlevez ça et accrochez-la à votre chaîne, avec vos plaques d'identité militaire....Ok ?
"On doit toujours réunir les effets personnels, dit-il en remettant ses plaques à l'intérieur de sa chemise. Pour moi, la chose la plus pénible, c'est enlever les alliances des doigts.

J’avais pensé qu’il y aurait au moins une certaine noblesse dans la guerre. Je sais qu’elle existe. On raconte tant d’histoires, il faut bien que certaines d’entre elles soient vraies. Mais je vois surtout des hommes ordinaires, essayant de faire le bien, abattus par l’horreur, par leur incapacité à apaiser leur propre rage, par les airs virils qu’ils affectent et leur prétendue dureté, leur désir d’être plus implacables et par conséquent plus cruels que la situation dans laquelle ils se trouvent.

On a tiré sur des chiens. Pas par accident. De façon délibérée. On avait appelé ça Opération Scooby. Moi, je fais partie des gens qui aiment les chiens, alors, forcément, ça m’a fait gamberger.
La première fois, c’était juste une réaction instinctive. j’entends O’Leary crier « Nom de Dieu », et là, je vois ce chien marron, squelettique, en train de laper du sang comme il boirait de l’eau dans un bol. C’était pas du sang américain, mais quand même, ce chien, il est là, en train de le laper. Je crois bien que c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, après ça, la chasse aux chiens était ouverte.
Sur le moment, vous n’y pensez pas. Tout ce que vous pensez, c’est : qui est dans cette maison, qu’est-ce qu’il a comme arme, comment il va vous tuer, vous ou vos copains. Vous progressez un pâté de maisons après l’autre, vous vous battez avec des fusils qui sont efficaces jusqu’à cinq cent cinquante mètres, et vous tuez des gens pratiquement à bout portant dans un cube de béton.