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Citations sur Esquisse d'un libéralisme soutenable (6)

(52%) 5.2. Le débat sur les « surfeurs de Malibu »

Rappelons d’abord (voir § 3.1) qu’en 1971, dans A Theory of Justice, Rawls considère cinq « biens premiers » essentiels, dont la répartition dépend de l’application des principes de justice : droits et libertés fondamentales (relevant du « principe d’égales libertés »), liberté d’orientation vers diverses positions sociales (fonction de la « juste égalité des chances »), pouvoirs attachés aux fonctions d’autorité et de responsabilité, revenu et richesse, bases sociales du respect de soi-même (dépendant tous trois du « principe de différence »).

À cette liste initiale, Rawls envisage dès 1974 d’ajouter un sixième bien premier (le « loisir »), en réponse à la perspective envisagée par Musgrave de maintenir l’incitation à produire des plus favorisés par un impôt forfaitaire sur leurs capacités productives. En effet, en cas de fiscalité classique (progressive) sur leur revenu, ces derniers pourraient la juger excessive, renoncer à travailler et se réfugier dans le « loisir ». Le loisir pourrait donc devenir, à côté du revenu et de la richesse, un troisième bien premier de nature socio-économique recherché par les individus, dont le principe de différence devrait tenir compte.

Le débat sur la fiscalité forfaitaire n’ayant pas eu de suite, l’idée d’intégrer le loisir parmi les biens premiers est restée en l’état, jusqu’à ce que Rawls la reprenne en 1988 et en oriente différemment la portée. Il considère cette fois la préférence éventuelle pour le loisir, non des plus productifs qui financent la redistribution, mais celle des plus défavorisés qui en bénéficient et son propos est sans ambiguïté :

Une durée de vingt-quatre heures, déduction faite d’une journée-type de travail, pourrait être incluse dans l’index [de biens premiers]. Les gens qui ne veulent pas travailler auraient ainsi une journée standard de loisir supplémentaire supposée équivalente à l’index des biens premiers des moins avantagés. Ainsi ceux qui font du surf toute la journée à Malibu doivent trouver de quoi subvenir à leurs besoins et ne pourraient bénéficier de fonds publics.

Par cette phrase, Rawls exclut donc du bénéfice de la redistribution (induite par le principe de différence) « les gens qui ne veulent pas travailler » pour ne le réserver qu’à ceux qui ne le peuvent pas, c’est-à-dire aux « chômeurs involontaires ».

Confirmant quelques années plus tard que les plus défavorisés ne sont pas « ceux qui vivent des prestations sociales et qui surfent toute la journée au large de Malibu », Rawls précise que « nous devons inclure le temps de loisir dans l’indice si cela s’avère praticable et si c’est le meilleur moyen d’exprimer l’idée que tous les citoyens doivent prendre leur part dans le travail coopératif de la société ». En d’autres termes, ceux qui volontairement ne travaillent pas ne peuvent bénéficier de la redistribution, puisque celle-ci se veut la contrepartie d’une forme bien précise de « coopération sociale ».
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Nous [...] considérons qu’au niveau macrosocial, seul peut être envisagé un revenu de base identique pour tous. Le cas échéant, celui-ci peut être complété, à un niveau microsocial (ou local), par d’autres transferts ciblés sur le manque d’autonomie, lesquels demandent une expertise préalable de chaque cas par la collectivité appelée à les financer. En d’autres termes, le revenu de base ne peut être la réponse unique et commune à toutes les dimensions de la « question sociale ».

Point fondamental où nous rejoignons Van Parijs dans son débat avec Rawls, le revenu de base peut être fondé sur le principe de différence, à partir de l’analyse des biens premiers qui lui sont attachés. En effet, si ce principe visait à maximiser uniquement leur revenu, une allocation ciblée sur les seuls moins favorisés serait sans doute plus efficace qu’un transfert inconditionnel, mais ce serait faire peu de cas des deux autres biens premiers rawlsiens à prendre en compte, à savoir le « pouvoir » et les « bases sociales du respect de soi-même ».
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(81%)

Puissance économique mondiale, l’Union européenne, et en premier la zone euro, n’a pas encore pris la mesure de sa capacité politique à influencer le désordre spontané des relations internationales. Qu’il s’agisse de concentration du capital, de défis technologiques ou de question climatique, l’Europe peut d’ores et déjà être une terre d’avant-garde, par l’échelle interétatique à laquelle elle est susceptible de traiter ces questions.
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3.1. La recherche d’une « démocratie de propriétaires »

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La première étape de notre cheminement prend appui sur la réflexion de Rawls quant à la capacité des institutions sociales à respecter les deux principes de sa théorie de la justice, socle selon lui de la société libérale. À cet effet, il oppose le « capitalisme du laissez-faire » et le « capitalisme de l’État-Providence » à la « démocratie de propriétaires » qui a sa préférence :

Le « capitalisme du laissez-faire » est certes efficace, mais ne reconnaît qu’une égalité formelle s’appliquant aux libertés comme aux opportunités réservées à chacun. De plus, il ne garantit qu’un minimum social assez bas, à l’image du revenu hors marché que Hayek n’octroie qu’à ceux qui ne parviennent pas à y gagner leur vie.

Le « capitalisme de l’État-Providence » est certes plus sensible à l’idée d’un minimum social plus élaboré, comme à celle d’égalité des chances, mais il « autorise des inégalités très importantes en matière de propriété réelle (des moyens de production et des ressources naturelles), si bien que le contrôle de l’économie et de l’essentiel de la vie politique reste entre les mains de quelques-uns ».

À l’inverse de ces deux systèmes, la « démocratie de propriétaires » est la seule à viser prioritairement la dispersion maximale du pouvoir économique, à l’image de ce qui se fait plus classiquement dans la sphère politique, où chacun détient une parcelle de pouvoir par le suffrage universel. Les instances ainsi élues, ou nommées par elles (la magistrature), restent par ailleurs soumises au principe, par essence libéral, de la séparation des pouvoirs.

Ainsi, dans la sphère économique, la « démocratie de propriétaires » vise-t-elle d’abord à disperser au mieux la propriété des richesses et du capital, afin d’éviter qu’une partie infime de la société ne contrôle l’économie et indirectement la vie politique. Le même principe s’applique au capital humain (l’éducation et les compétences), car l’objectif est de placer chaque citoyen en position de s’occuper de ses propres affaires, ce qui va bien au-delà de l’octroi nécessaire d’un revenu minimum pour tous les accidentés de la vie.

Dans la même perspective, Rawls considère aussi, de manière plus anecdotique, le cas d’un « régime socialiste libéral » qui combinerait économie de marché et propriété collective des moyens de production. Les entreprises, dirigées par les salariés ou leurs représentants, relèvent alors de pratiques « autogestionnaires » ponctuelles (type rachat de l’entreprise par ses salariés) ou institutionnalisées (dans le secteur de l’économie sociale et solidaire), tout à fait compatibles avec le libéralisme économique. En particulier, ces entreprises autogérées poursuivent leurs activités « dans le cadre d’un système de marchés libres et en pratique concurrentiels ».

En résumé, c’est donc bien l’idée de dispersion la plus large possible du pouvoir qui illustre le mieux la grande cohérence des volets politique et économique du libéralisme rawlsien.
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Or c’est précisément pour lutter contre ces deux dimensions de « l’arbitraire moral » que le second principe de la justice trouve dans le champ économique et social toute sa légitimité : « juste égalité des chances » pour corriger l’impact du milieu social de naissance, « principe de différence » pour faire bénéficier chacun, à commencer par les moins productifs, d’une partie des revenus que les talents naturels des plus productifs ont permis de générer.

L’association de ce second principe de la justice avec le premier, auquel il reste subordonné, semble ainsi en adéquation avec les valeurs fondamentales des démocraties libérales contemporaines. Dans le cas de la France, Rawls a lui-même souligné la résonance profonde entre la devise républicaine « Liberté, Égalité, Fraternité » et ses deux principes de justice : si l’idéal de fraternité peut impliquer des liens sentimentaux, on peut aussi l’interpréter à partir de la réciprocité incorporée dans le principe de différence (gestion à l’avantage de tous des différences individuelles de capacités productives). Une fois ceci accepté, « la liberté correspond au premier principe, l’égalité renvoie en même temps à l’idée d’égalité du premier principe et à celle d’une juste égalité des chances, et la fraternité correspond au principe de différence ».

La théorie rawlsienne de la justice offre ainsi une autre voie pour la nécessaire intégration des libéralismes politique et économique. De plus, en combinant au mieux deux termes, liberté et égalité, souvent perçus comme antagoniques, Rawls rend la piste de l’égalitarisme libéral, qu’il a ouverte, bien plus attractive et supportable par nos contemporains que la piste hayékienne de l’ordre social spontané. Toutefois un exposé philosophique, si original qu’il soit, ne peut suffire à baliser le cheminement vers un libéralisme socialement soutenable que nous tentons ici d’esquisser.
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À la différence des autres peuples européens, les Français, au mieux, ne comprennent pas le libéralisme et, pour une majorité d’entre eux, le rejettent : au premier tour de l’élection présidentielle de 2017, plus de 50 % des électeurs ont choisi des candidats opposés à la concurrence et au libre-échange, et même, pour certains, favorables à la sortie de l’euro. Niveau élevé de chômage depuis plus de trente ans, maintien de zones incompressibles de pauvreté, « panne » de « l’ascenseur social », autant de caractéristiques déplorables de la société française largement attribuées, dans notre pays, aux excès de l’économie de marché, de la « marchandisation » de la société, voire du « néolibéralisme ».
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