J'ai choisi ce livre dans le cadre de "masse critique ; essais et livres documentaires", parce que le titre m'avait plu, évoquant vaguement les voyages imaginaires prétextes à critique sociale et politique du XVIIIème siècle.
Mais je ne connaissais pas
Gaspard Koenig... la confrontation fut immédiate. Tout d'abord, je jugeai l'homme comme pur produit de l'intelligentsia cultivée à la française, notant ses remarques déplacées sur la pauvre décoration des maisons des favellas, son admiration pour le "bon goût" de politiciens ou activistes locaux, aux liens parfois troubles avec le régime de leur pays, une écriture aux bons mots faciles -reliquat de son ancien métier d'écrivain de discours ministériels ?... - .
Dès le 1er chapitre surtout, on réalise que ces récits de voyages n'ont rien à voir avec les
Méharées de
Théodore Monod : M. Koenig semble voyager en première, et ne faire qu'observer en touriste économique les effets de telle ou telle politique sur le bon petit peuple, s'en tenant en guise d'approfondissement à la validation des thèses de leurs auteurs, que lui-même partage a priori, bien avant d'aller les vérifier sur place.
Enfin, tout semblait m'éloigner des thèses libérales de M. Koenig, que j'assimilais à celles de
Pascal Salin, et d'Alain Madelin, issues de cette théorie destructrice du marché de concurrence pure et parfaite défendue par les économistes Hayek et Friedman. Je ne comprenais même pas qu'il prétende défendre des principes économiques en péril, là où ces bases d'un capitalisme sauvage gonflant les inégalités me semblaient au contraire triompher actuellement partout dans le monde.
J'en étais à un tel degré de rejet après les 30 premières pages que je m'interrogeais déjà sur l'art et la manière de "dégommer" avec sincérité sur babelio -m'en tenant ainsi aux engagements Masse Critique-, tout en ménageant la susceptibilité d'un penseur politique influent, certainement bien meilleur débatteur que moi. de plus, bien qu'il ait tardé à me parvenir, cet ouvrage m'était tout de même gracieusement adressé par les Editions de l'Observatoire le Point, dont le directeur de collection de Facto n'est autre que
Gaspard Koenig... j'ai donc poursuivi ma lecture, par correction et politesse...
Bien m'en a pris ! Et je dois à
Gaspard Koenig de plates excuses pour certains des jugements portés plus haut ; belle leçon pour moi de tolérance dans le débat d'idées...
Après quelques recherches internet pour mieux connaitre l'auteur et ses thèses politiques, après avoir fait de même à partir des interviews de praticiens, d'économistes, et des citations philosophiques dont il émaille son ouvrage, j'ai totalement revu mon jugement.
Avec des limites propres à chacun de nous,
Gaspard Koenig tente réellement, sincèrement, de sortir de sa zone de confort, et son humour acide que j'avais interprété comme de la prétention se révèle au final englober une forme d'autodérision, de recul cynique sur l'expérience, qui invite chacun, y compris lui-même, à se remettre en question. Ainsi, il est clair que ses voyages sont clairement orientés pour démontrer les vertus du
libéralisme tel qu'il le conçoit, mais derrière les affirmations perce une réelle ouverture au questionnement, presque au second degré, et la prise en compte des errements du capitalisme sauvage, l'empathie au delà des froids concepts du marché, qui me manquaient dans le 1er chapitre, s'avèrent finalement bien présents, conceptualisés d'une manière originale. J'avais déjà rencontré cette forme d'empathie mêlée à un pragmatisme anglo-saxon chez Stuart Mill et les utilitaristes.
Le discours s'enrichit au fil de la lecture. Les bases libérales sont complétées d'une approche résolument moderne sur la tolérance, le revenu universel, le droit à l'errance. Les citations s'avèrent ne pas être qu'un vernis "science-posard", mais bel et bien un substrat culturel riche, dans lequel l'auteur puise sa pensée et son interprétation des applications observées.
Aussi séduisante soit-elle - cf l'excellent article "Trop séduisant capitalisme" paru dans Libé-, on n'est pas obligé d'adhérer à la pensée libérale de
Gaspard Koenig, mais forcé de reconnaître qu'il réalise un véritable effort de dépassement des positions politiques gauche-droit qui sclérosent notre pays et révèlent la paresse intellectuelle ambiante, incapable de sortir de la pensée unique.
Gaspard Koenig le fait, lui, brillamment, en métissant son
libéralisme de nombreuses autres influences.
Bref, ce fut au final une rencontre inattendue et riche. On apprend souvent plus de la confrontation -dans un esprit ouvert- avec qui pense différemment de nous qu'en restant dans le cercle de sa propre culture.
Je maintiens que l'enquête de
Gaspard Koenig n'a rien à voir avec Tintin au pays des soviets -houpette ou pas,
Gaspard Koenig y serait-il allé ? cf la promo du Point- , s'agissant d'un essai politique où les expériences servent à enrichir une thèse libérale clairement assumée. Mais cette thèse n'est pas celle que nous vendent nos élites politiques habituelles ; elle puise ses racines dans réflexion approfondie, et suscite un dialogue intelligent.
En bon libertarien -heureusement me dira-t-on !-,
Gaspard Koenig, fait oeuvre de conviction mais laisse libre chacun, après s'être enrichi de ses observations et éclairages, de donner plus ou moins de poids aux problèmes d'injustice, d'inégalités ou de pauvreté que pose la liberté érigée en dogme, et d'estimer ou non avec lui que ces problèmes "se résolvent par... davantage de liberté".
Pour finir, donc, merci aux Editions de L'Observatoire, à
Gaspard Koenig, et à Babelio, pour cette lecture inattendue, cette invitation à une critique difficile, et cette confrontation intellectuelle dynamisante.