J'étais gentiment en train de lire l'ouvrage de la professeure
Carole Wrona "
Imaginaires de la taille humaine au cinéma : de la figuration du nain", lorsqu'en vérifiant un détail sur le net, je suis tombé sur ce livre du couple israélien
Yehuda Koren et sa femme
Eilat Negev sur la fascinante histoire de la famille juive Ovitz, qui comptait 7 nains.
Avec tout le respect pour la spécialiste de l'image à l'École Supérieure de Réalisation Audiovisuelle (ESRA) à Paris, mais j'ai décidé d'accorder priorité au récit incroyable d'une famille juive de lilliputiens à une époque tant mouvementée.
Sept des 10 enfants de cette famille juive hongroise, vivant à Rozavlea dans l'actuelle province roumaine de Maramureş en Transylvanie, étaient des nains et formèrent ainsi la plus grande famille de nains jamais répertoriée au monde. Il y avait un père, Shimshon Eizik (1868-1923) et 2 mères, Brana Gold (1868-1901) et Batia Bertha Husz (1884-1930). Les 2 mères sont mortes de tuberculose, la première à 33 ans, la seconde à 46. Brana a eu 2 filles naines, Rozika, née en 1886, et Franziska 3 ans après. Avec Batia Shimshon a eu 8 enfants : Avram en 1903, Frieda en 1905, Sarah en 1907, Mordechaï, surnommé Micki en 1909, Leah en 1911, Elizabeth en 1914, Arieh en 1917 et finalement Perla ou Piroschka en 1921. Entre l'aînée et la benjamine, il y avait donc 35 ans de différence.
Les 3 enfants à la taille normale étaient Sarah, Leah et Arieh.
À propos de taille et de statistiques, la France compte 5.500 personnes naines. Sont considérés telles, toute personne adulte qui a une taille inférieure à 1,40 mètre. Ce qui donne une naine ou un nain par 25.000 naissances. le nom "nain" vient du Grec "nanos" ou petit. le terme "pygmée" à cause de sa connotation péjorative n'est plus guère utilisé.
À titre d'exemple, l'acteur américain de la série célèbre "Game of Thrones", Peter Dinklage mesure 1,32 mètre et est marié depuis 15 ans avec la directrice de théâtre, Erica Schmidt (1,68 mètre), avec qui il a 2 mômes de taille normale.
Sans vouloir entrer dans un long historique des nains, qui a commencé en Égypte antique avec le nain Bès, vénéré comme le dieu de la fertilité, en passant par Lucius, le nain attitré de l'empereur romain Auguste et Bahalul, le nain du puissant calife abbasside Haroun al-Rachid (765-809), il y a eu pratiquement de tout temps des lilliputiens aux cours impériales et royales (et même au Vatican à un moment donné). le tsar
Pierre le Grand a par exemple organisé en 1710 en grande pompe le mariage de son nain favori Valakov avec la naine de la princesse Prescovia Theodorovna. Soixante-douze lilliputiens furent officiellement invités. Leo Singer, le créateur de la Cité des Lilliputiens à Vienne, a fait mieux. En 1939, pour le tournage du fameux film "Le Magicien d'Oz", il a engagé 124 lilliputiens.
Notre famille Ovitz a été invitée elle aussi à donner un concert au palais royal de Bucarest par le roi Karol II (1893-1953). Perla a raconté aux auteurs qu'après le concert l'auguste souverain roumain les fit appeler, puis les "tâta minutieusement" !
Ce qui m'a frappé et que j'ignorais totalement est qu'aucun nain n'a jamais été poursuivi par la redoutable Inquisition.
Je ne peux clore ce mini-passage historique sans rappeler bien sûr "Le voyage de
Gulliver à Lilliput" de
Jonathan Swift de 1726. Une aventure que nous avons tous aimée, bien que les hôtes de notre capitaine voyageur étaient vraiment minuscules : 6 pouces ou 15 centimètres de hauteur.
Conscient du conseil de leur mère Batia : "restez ensemble envers et contre tout", très tôt les Ovitz créèrent leur propre troupe de comédiens ambulants. À part une grande discipline et capacité de travail, ils avaient tous des dons artistiques et jouaient des instruments de musique. La petite Piroschka une guitare rose à 4 cordes qui ressemblait à un jouet. Avram jouait le maître des cérémonies, s'occupait des relations publiques et contrats. Tous, à la seule exception d'Arieh, participaient, y compris les "tailles normales", Sarah qui se chargeait des uniformes et vêtements et Leah de la ferme et bêtes à Rozavlea.
Le chapitre IV s'intitule "En tournée 1931-1940" et c'était exactement ce que la Troupe Ovitz faisait, profitant du grand intérêt que le nanisme suscitait partout. Mais leurs déplacements n'avaient rien de simples, compte tenu de tout le matériel qu'il fallait trimbaler. Leurs pérégrinations commençaient invariablement par un voyage en simple charrette à la gare de Sighetu à 35 kilomètres de leur domicile, où il fallait les hisser dans le wagon, les marches des trains leur étant impraticables. Les Ovitz ont parcouru toute la Roumanie et la Hongrie avec des pointes en Tchécoslovaquie. Et ils ont eu du succès, aussi bien qu'ils ont pu s'acheter la première voiture du coin : un gros bolide italien qui les prenaient tous, avec leur bagage.
Mais le ciel s'assombrit et la fratrie qui ne s'est jamais intéressée à la politique, ne s'en rend pas compte. La Hongrie reprend, en août 1940, contrôle du Nord de la Transylvanie et la situation pour les Juifs dégénère rapidement. L'amiral Horthy de Hongrie n'enverra cependant pas les Juifs dans les camps de la mort, à la grande colère d'Adolf, qui en mars 1944 remplace le gouvernement en place et les convois pour les camps de concentration se multiplient rapidement.
Le 15 mai 1944, c'est le tour à nos lilliputiens d'arriver à Auschwitz. L' affreux docteur Josef Mengele (1911-1979), spécialiste du gazage à grande échelle et savant qui voulait prouver la supériorité aryenne, théorie fumeuse pour laquelle il a entrepris des expériences absolument scandaleuses, est très content de l'arrivée des Ovitz et donnent des ordres très stricts de les laisser en paix. Bizarrement, c'est peut-être l'attitude de "l'Ange de la mort" (son surnom) qui a fait qu'ils ont survécu au camp, qui fut libéré fin janvier 1945 par les Russes. Elizabeth a spécifié, des années plus tard, les horribles expériences auxquelles ils ont tous été assujettis et trop abominables pour mentionner ici.
Un retour à Rozavlea s'est avéré exclu. Après une longue marche, ils ont été forcé de constater qu'ils y avaient tout perdu. C'est en passant par la Belgiquë, où ils ont vécu 2 ans, qu'ils se sont finalement rendus en Israël et installés à Haïfa, en 1949. Avec un courage qui laisse rêveur, ils ont repris avec succès leurs représentations pendant 6 ans jusqu'à leur achat d'un cinéma.
Le couple
Yehuda Koren et
Eilat Negev ont eu de longs entretiens avec Perla, la dernière des Ovitz, et ont rédigé un excellent témoignage. Un ouvrage, conçu, présenté et illustré de façon intelligente, que je recommande avec force.
Lorsque les auteurs ont rencontré Perla, elle souffrait, comme unique survivante d'une fratrie nombreuse - l'avant-dernière, Sarah était décédée en 1993 - de solitude. Chaque jour elle alla au cimetière pour être avec les siens et lire le texte qu'elle avait fait graver sur sa propre tombe : "Ici repose la dernière de la famille des nains, mademoiselle Perla Ovitz, fille de Shimshon Eizik et de Batia, qui a souffert chaque jour de sa vie". (Page 257). Piroschka ne trouvait pas que cette épitaphe fut étrange ou macabre, ni qu'elle fut en contradiction avec son immense joie de vivre. Elle ne supportait pas d'être seule. Elle est décédée paisiblement à Haïfa, le 9 septembre 2001. Elle avait 80 ans.