L'ami du défunt

Quelqu'un m'avait dit un jour qu'un type normal n'avait aucune chance d'être admis aux Beaux-Arts. Apparemment, il ne m'avait pas menti. Avec cette seule nuance que les gens bizarres sont toujours plus intéressants que les gens normaux. En leur compagnie, on court parfois certains risques, mais jamais celui de s'ennuyer.

Si j'avais fumé, une cigarette aurait été la bienvenue, mais Dieu m'avait préservé de ce vice.

Personne n'avait besoin de moi et je n'avais besoin de personne. C'était tellement flagrant que j'en ai eu des frissons dans le dos. L'évidence de mon inutilité en ce monde m'a aiguillé vers des pensées positives : la décision que j'avais prise était la bonne.

j'avais envie de voir l'homme qui ne serait pas tué ce jour là et qui était certainement à mille lieues de soupçonner la chaîne d'événements qui lui vaudrait d'avoir la vie sauve . évidemment, dès le lendemain, il serait peut-être tué ailleurs par quelqu'un d'autre.

servir d'appât ne me plaisait guère . je me sentais dans la peau d'un ver de terre qui devait servir à pêcher un gros poisson.

-je sais ce qu'il faut faire, a-t-il enfin déclaré.
_Quoi donc ?
_il faut un appât .
- quel appât?
-ben c'est toi qu' il veut, non? c'est toi le meilleur appât!

les petites annonces constituaient un calmant efficace, créant la sensation d'une vie parfaitement normale: des gens construisaient des maisons et des datchas, d'autres élevaient des ragondins ou cultivaient des roses rares . sous la rubrique" cœur solitaire" chacun était bien de sa personne, sobre et non fumeur et cherchait une âme sœur répondant aux mêmes critères. Le monde apparaissait sous un jour idéal, au point qu'on aurait voulu y vivre éternellement. parmi les annonces de ceux qui souhaitaient acquérir ce qu'ils n'avaient pas ou vendre ce qu'ils avaient, je suis tombé sur une proposition qui détonnait sur ce fond bourgeoisement paisible. "Je suis prêt contre forte récompense à me charger de missions dangereuses." pas de téléphone, juste une adresse(...)

les lampadaires, les néons et les enseignes lumineuses des cafés et des restaurants affublés de noms stupides dissipaient la pénombre du soir. quittant la lumière des réclames, je me suis installé sur un banc .(...) sur les bancs voisins, profitant de l'absence d'éclairage, s'embrassaient des silhouettes heureuses. j'étais le seul à n'embrasser personne, et je me suis senti frustré.

Apparemment, pour se familiariser avec un appartement, il convenait de commencer par la cuisine.