Beethoven était un compositeur, et pas un homme de lettres. Une vérité d’évidence qui mérite d’être énoncée car elle permet d’apprécier à leur juste place ses écrits, qui sont « innocents », sans double fond. Mais quand un écrivain prend la plume, même pour évoquer la pluie ou le beau temps, il le fait avec la conscience d’être lu comme tel. Et pourtant, sans le chercher, Beethoven se révèle un « écrivain » : il n’est pas seulement le « maître des sons », il sait également jouer avec les mots, exprimer les sentiments les plus forts ou ténus, décrire les situations les plus cocasses ou dramatiques, tisser le tout d’allusions ou de citations qui disent combien l’imprègnent la littérature et la poésie. Ses maîtres, ce ne sont pas seulement Haydn, Bach ou Haendel, ce sont aussi Shakespeare, Homère ou Schiller.
Elle fut pour moi une mère si aimable, mon amie la plus chère ; ô, n’y avait-il plus heureux que moi à l’heure où je pouvais encore prononcer le doux nom de mère et d’elle être entendu ; qui puis-je aujourd’hui appeler de ce nom ? Les images muettes, simples évocations, que compose mon imagination ? Depuis que je suis ici, je n’ai savouré que de rares heures de joie ; frappé d’asthme durant l’entièreté de mon séjour, j’ai à craindre que la phtisie ne me gagne à mon tour ; et qu’à cela ne s’ajoute la mélancolie, une souffrance à mes yeux aussi importante que ma maladie elle-même. Puissiez-vous vous imaginer un instant à ma place et me pardonner mon long silence !
Beethoven est tout à la fois, mais aussi le contraire de tout. Il faut s’y faire et ne pas hésiter à se déprendre. Lui-même se surprend lui-même. Sublimement « grand » dans sa pensée et ses actes, il peut être très « petit » et d’une outrancière mauvaise foi. Ainsi, après avoir été détestable, pour ne pas dire infect, avec sa belle-sœur Johanna pendant des années, il se révèle d’une belle et authentique générosité lorsqu’elle se retrouve dans le besoin et malade. Johanna sera à ses côtés le jour de sa mort.
Beethoven est bouillant. Il bout de l’aube jusqu’à la nuit, professe des injures, se confond en excuses, aime à la passion, hait jusqu’à la déraison. Il bout d’amour, d’amitié, d’idéal, de jalousie, d’orgueil, de modestie, d’altruisme, de petitesse, de justice, et aussi de mauvaise foi. Il est tout à la fois, il est chacun de nous, il est un homme, fait de tous les hommes. « Vous me faites l’impression d’un homme qui a plusieurs têtes, plusieurs cœurs, plusieurs âmes », lui avait écrit Haydn dès 1793.
Et c’est un bon vivant, qui apprécie toutes sortes de nourritures, les huîtres, fraîches ou rôties, les macaronis au parmesan, tous les poissons d’eau douce, la soupe qu’il aime à base d’« un peu de persil, de céleri et de carottes ».