Amour, sexe et chasteté

La relation vraie ne peut exister qu’au prix d’un renoncement total au « moi ». Quand le « moi » n’est plus, vous êtes relié et il n’existe plus aucune espèce de séparation. Il est probable que vous n’ayez jamais éprouvé cela — ce reniement total, réel et non pas d’ordre intellectuel, cette cessation totale du « moi »... il existe un état de relation où le « moi » n’est plus, et qui n’est pas une utopie, une chose rêvée, ni une expérience mystique ou dénuée de sens, mais une chose réellement faisable, consistant à vivre dans une dimension où l’on est relié à tous les êtres humains.

Mais vous les connaissez, tous ces écrans derrière lesquels l’homme cherche à s’abriter des autres. Cet isolement est donc fondamentalement le facteur qui fait obstacle à la relation. Et dans cette prétendue relation, isolée, le plaisir prend une importance extrême.Vous pouvez constater à quel point, dans le monde, le plaisir se fait de plus en plus insistant, de plus en plus exigeant, car tout plaisir — pour peu qu’on regarde les choses de près — est un processus d’isolement ; et l’on doit soulever cette question du plaisir dans le contexte de la relation. Le plaisir est un pur produit de la pensée, n’est-ce pas ? Dans l’expérience que vous avez vécue hier, le plaisir était au cœur même de ce vécu, au cœur de la beauté ou de la perception des sens, au cœur de l’excitation sensuelle ou sexuelle : vous y repensez, vous vous formez une image de ce plaisir éprouvé hier. Et la pensée entretient, nourrit cette chose qualifiée hier de gratifiante. Et donc la pensée exige que ce plaisir perdure encore aujourd’hui. Plus vous songez à cette expérience passée, qui a été sur le moment source de délices, plus la pensée veut la prolonger sous forme de plaisir et de désir.

Nous sommes en train de perdre cette relation de proximité avec tous les hommes et toutes les formes de vie. Et il me semble qu’il est capital de se demander ceci : qu’est-ce que la relation ? Existe-t-il une relation vraiment digne de ce nom ? Et quel rôle jouent l’amour, la pensée et le plaisir. au sein de cette relation ?

. L'amour est défini à partir de ce qu'il n'est pas : la dépendance affective, le désir, le mariage -

Ce n'est pas dans le fait d'être amoureux que réside le conflit: ce sentiment d'amour est totalement dépourvu de conflit. L'état amoureux ne s'accompagne d'aucune perte d'énergie. La perte d'énergie, c'est après coup qu'elle intervient, avec tout ce qui fait suite à l'état amoureux - la jalousie, la possessivité, les soupçons, le doute, la peur de perdre cet amour, et ce perpétuel besoin d'être rassuré, d'être réconforté.

Indéniablement, l'amour, c'est être en communion avec quelqu'un, mais y a-t-il une communion - autre que physique - entre vous et votre femme? La connaissez-vous - excepté physiquement? Et elle, vous connaît-elle? N'êtes vous pas l'un comme l'autre isolés, l'un comme l'autre à la poursuite de vos propres intérêts, de vos propres ambitions, chacun attendant de l'autre une gratification, une sécurité d'ordre économique ou psychologique? Une telle relation n'en est pas vraiment une - c'est un processus d'enfermement réciproque et de repli sur soi, né d'une nécessité psychologique, biologique et économique, dont le résultat évident est le conflit, le malheur, les reproches incessants, une possessivité doublée de peur, de jalousie et ainsi de suite.

La domination n'existe qu'en raison de notre pauvreté intérieure. Étant psychologiquement démuni, on veut pouvoir dominer, insulter le domestique, la femme ou le mari. Alors que, bien sûr, c'est le sentiment d'affection, la chaleur de l'amour qui sont les seuls capables de donner naissance à un nouvel état, à une nouvelle culture. Mais cultiver son cœur n'est pas un processus qui relève de l'esprit. L'esprit ne peut pas cultiver les qualités de cœur, toutefois lorsqu'on a compris le problème de l'esprit, alors l'amour advient.

La pensée a divisé le monde en nationalités: vous êtes britannique, un autre est allemand, je suis français, vous êtes russe, et ainsi de suite. Cette division, c'est la pensée qui la crée. Et la pensée suppose que c'est dans ce séparatisme, dans cette division que réside la sécurité - on appartient à une communauté, on appartient au même groupe, on a foi en un même gourou, et dans les mêmes vêtements que l'on porte selon les desiderata du gourou: on se sent en sécurité, ou tout au moins en a-t-on l'illusion.

Le sexe peut être aussi pur qu'un ciel bleu sans nuages; mais avec la pensée vient le nuage qui obscurcit le ciel. La pensée décrète que "cela est chaste et pur" mais que "cela n'est que pure faiblesse" et que "ici, je dois me contrôler" mais que "là, je vais me laisser aller". Le poison, c'est donc la pensée - et non l'amour, la chasteté ou le sexe. Ce qui est innocent est toujours pur et chaste en toutes circonstances; mais l'innocence n'est jamais le fruit de la pensée.

Toutes les religions nous ont dit de renier le sexe, de le réprimer, parce que, selon elles, il représente une perte d'énergie, et l'on a besoin d'énergie pour pouvoir trouver Dieu. Mais cette forme d'austérité, ce refoulement brutal et cette soumission forcée à des schémas établis sont une violence cruelle exercée à l'encontre de nos instincts les plus beaux. Cette forme d'austérité pure et dure est une perte d'énergie bien supérieure à celle qui entre en jeu lorsqu'on s'abandonne à la sexualité.