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Citations sur Je me voyage : Mémoires (16)

la meilleure manière de rencontrer autrui, c’est de ne pas même remarquer la couleur de ses yeux mais de nous hisser par-delà le sensible et le perceptible pour accéder à ce surplus de vie intérieure auquel le geste altruiste et sentimental donne accès…
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Je n’oublierai jamais notre rencontre. Visage aux pommettes hautes, regard pénétrant, large sourire. Elégante, maîtresse d’elle-même mais détendue, j’aime la force qui émane de sa présence. Elle m’accueille chez elle, moi, mon magnétophone, mes questions. Nous buvons un thé de Chine dans cet appartement calme et lumineux. Elle se souvient, je la relance. Le livre se fait à deux. Elle m’impressionne, elle s’en amuse, je ramène la théoricienne à son vécu, aux émotions, elle joue le jeu, ou pas, nous poursuivons. Son humour me plaît, nous rions, et ce partage allège l’imperceptible mélancolie de l’exercice autobiographique.
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L’intellectuelle bardée de titres et d’honneurs laisse émerger des souvenirs, revisite avec moi son « voyage ». Sévère ? Mais non. Concentrée, exigeante plutôt. Pudique aussi. Intensément là. Elle m’observe, la psychanalyste analyse le psychologue, et vice versa, nous nous comprenons, un lien se forme, l’essence même de ce que nous vivons. Ses doigts entourent la tasse de thé tandis qu’elle se confie, réfléchit, sourit. Le charme opère. Précision de la langue, fulgurance intellectuelle, subtile auscultation des affects, je l’accompagne tandis qu’elle se révèle. Elle a construit sa singularité dans cet ailleurs.
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S. D. À 4-5 ans vos parents vous ont inscrite à l’école maternelle française. Vous apprenez à réciter des comptines, à dire l’heure, à prier, en français …




J. K. Exact. Mes parents ont eu cette excellente idée, l’enseignement était dispensé par des religieuses. Je les croyais dominicaines. On m’a dit récemment qu’il s’agissait sans doute d’oblates assomptionnistes, c’est-à-dire des laïques qui ont des activités religieuses sans être consacrées. Elles étaient assez sévères, au sens de régulières. Elles accordaient une grande importance à l’ordre, à la tenue, à la rigueur, au respect, on faisait la révérence. Elles nous faisaient réciter des fables de La Fontaine, quelques prières. La fête de Noël était un jour de cadeaux, pas de messe. Hélas, au bout de deux ans, accusées d’espionnage, elles ont été expulsées. Je les ai beaucoup regrettées. Mais leur œuvre a été reprise par l’Alliance française. J’ai continué, deux ou trois après-midi par semaine, à suivre deux heures de cours. En parallèle au parcours de l’Éducation nationale.".
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Les Samouraïs

S. D. Dans votre roman Les Samouraïs (1990) [2] apparaissent les membres de la revue Tel Quel et de nombreux intellectuels qui gravitaient autour de son créateur, Philippe Sollers : Jean-Louis Baudry, Marcelin Pleynet, Jean Ricardou, Jacqueline Risset, Denis Roche, Pierre Rottenberg, Jean Thibaudeau… Ainsi que les exclus dissidents, tels Jean-Edern Hallier et Jean-Pierre Faye, mais aussi des personnalités qui ont croisé ce mouvement, comme Jacques Derrida, Michel Foucault, Pierre Guyotat, Jean-Joseph Goux, François Wahl ou Umberto Eco… Dans la réalité, comment s’est passée votre rencontre avec le groupe ? Comment ont évolué les relations avec chacun d’entre eux ? Sur une photographie de l’époque, vous figurez au milieu de ces hommes, souriante, rayonnante, solaire.

J. K. Le groupe n’était pas « groupal » et je n’ai jamais assisté aux réunions du comité de rédaction, mon nom n’a figuré sur la liste du comité que tardivement. Les relations avec chacun, chacune – je pense à Jacqueline Risset que j’aimais énormément, je n’accepte toujours pas son décès brutal –, étaient très différentes, spécifiques, incomparables, pas l’ombre d’une communauté. Mais vous tournez autour de l’essentiel : Philippe Sollers !

S. D. […] Comment avez-vous été amenée à rencontrer Philippe Sollers ?

J. K. Gérard Genette m’avait conseillé de le lire et de l’interviewer, ce que j’ai fait, après avoir lu dansClartéun entretien de ce jeune écrivain. Nous y reviendrons. À Tel Quel, Sollers m’a d’abord présentée à Marcelin Pleynet, ainsi qu’à Jean-Louis Baudry et sa femme, qui étaient très proches de lui. Mais, surtout, nous nous voyions souvent avec Roland Barthes, de longs dîners amicaux au restaurant Le Falstaff, à Montparnasse, où nous parlions de littérature, de leurs

Nota : S.D. interroge ensuite Julia Kristeva sur sa relation avec Roland Barthes. Confidence à découvrir dans le livre, ainsi qu’un long passage sur Jacques Derrida.

SD invite alors Julia Kristeva à développer plus en détail sa vie entre Tel Quel, la thèse qu’elle préparait, la vie parisienne, au-delà de qu’elle en dit dans Les Samouraïs, son roman d’inspiration autobiographique de 1990

« un jeu extrême avec l’impossible et la mort. Celui des samouraïs du soleil levant, excellents dans l’art de la guerre qu’ils pratiquent aussi en poésie, en calligraphie et même dans le rituel du thé. À l’opposé de la génération des « mandarins » qui aspiraient à donner des leçons et gouverner l’enseignement, la cité, la pensée. » dit-elle.
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L’arrivée à Paris « …c’était la catastrophe »

S. D. […] Vous partez de Sofia pour Paris. Je vous lis : « Elle déposa les deux valises de cuivre et feuilles mortes sur le comptoir bagages, effleura du bout des lèvres les joues humides de papa-maman, fit à Dan un clin d’œil amoureux, escalada sans se retourner la passerelle du Tupolev, passa trois heures et demie dans l’avion sans songer à égrener les minutes – la tête vide, rien que la saveur au tanin du thé dans la bouche – et atterrit dans un Paris gris, boueux. Les flocons ne cessaient de tomber et de fondre. La Ville lumière n’existait pas, les Français ne savaient pas déblayer la neige. La déception fut totale, elle la sentit au sel dans sa gorge. Évidemment, Boris ne l’attendait pas à Orly, et elle n’avait que cinq dollars en poche. Il n’y avait pas de quoi rire. C’était la catastrophe. »

Nota ; un ange gardien devait veiller sur elle. Miracle de rencontres de hasard pour guider ses premiers pas. Un véritable récit d’aventure à découvrir dans le texte intégral. Parmi ces soutiens de la première heure Tzvetan Todorov.

S. D. Tzvetan Todorov, qui finissait Théorie de la littérature, textes des formalistes russes (« Tel Quel », Seuil, 1965), vous parle de Tel Quel et de Roland Barthes. Vous allez aussitôt à son séminaire comme à celui de Lucien Goldmann. Barthes devient vite un ami très proche et attentif, Gérard Genette vous conseille de vous intéresser à « l’après-Nouveau Roman » et de rencontrer Philippe Sollers. Au cours de Roland Barthes, vous présentez votre premier exposé sur Bakhtine, à partir duquel vous forgerez les concepts de dialogisme et d’ intertextualité, et l’article sera publié dans la revue Critique (20, XIII, 239, avril 1967). Reprenons ces premières rencontres qui vous ont profondément marquée.

J. K. Juste avant les vacances de Noël, je suis allée au séminaire de Roland Barthes ; il se tenait dans une petite salle en hauteur, dans l’aile gauche de la Sorbonne, bondée d’un auditoire cosmopolite – étudiants allemands, anglais, italiens, espagnols et, bien sûr, français. Tous excités par une récente interprétation de Mallarmé par un certain Philippe Sollers, dont j’entendais le nom pour la première fois. Un « fameux personnage », selon leurs dires.
[…]
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Venir en France

Samuel Dock. Venons-en à une date décisive : la veille de Noël 1965. Vous prépariez alors une thèse sur le Nouveau Roman. Votre directeur de thèse vous a envoyée à l’ambassade de France pour tenter d’obtenir la bourse « De Gaulle » qui était accordée à certains jeunes des pays de l’Est afin d’étudier en France. L’attaché culturel a été surpris en constatant que vos connaissances ne s’arrêtaient pas à la fin du XIXe siècle (moment où, du point de vue communiste, commence la « décadence bourgeoise ») mais qu’elles allaient jusqu’à Blanchot, Sartre, Camus, et le Nouveau Roman. La bourse vous est accordée, et vous voilà contrainte de quitter précipitamment laBulgarie, en catimini. À votre arrivée, de la neige sale et des lumières, pas assez nombreuses, et dans votre poche, seulement cinq dollars…

Julia Kristeva. L’Histoire s’accélérait. Au XXe Congrès du PCUS, en 1956, Khrouchtchev proclame la « coexistence pacifique » : on va éviter une troisième guerre mondiale… Au XXIIe Congrès, en 1961, la momie de Staline est discrètement retirée du mausolée de Lénine ; l’URSS dépassera la production des États-Unis par habitant… De Gaulle, de son côté, tout en se méfiant du projet européen, « visionne » déjà une Europe s’étendant de l’Atlantique à l’Oural, et fait venir des jeunes étudiants de l’Est parlant français. Le gouvernement bulgare réservait ces bourses aux cadres méritants, pas vraiment jeunes et parlant à peine le français, et ces candidats n’étaient pas retenus par l’ambassade de France à Sofia. Personne ne partait, ou très peu de monde.

[…]

Et pourtant, elle débarqua à Paris
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Qui était, cette petite fille précoce ?

S. D. Je tâche de vous imaginer dans votre petite enfance. Comment étiez-vous ? Qu’aimiez-vous ? Le psychologue que je suis a envie de s’adresser à la petite fille précoce et avide de culture que vous étiez.

J. K. Solitaire (selon ma mère) et têtue (selon mon père). Je me reconnais dans le mot « solitaire », mais le temps va donner raison à mon père. Quelques amitiés, rares et fortes.[…]

[…]

Ma révolte s’exprimait dans les pages de mon journal clandestin, je vous l’ai dit, mais n’éclatait pas « à la surface ». Elle filtrait dans une devise que je m’étais inventée, et que j’ai reprise plus tard, lorsque Jacques Chirac m’a confié la présidence du Conseil national du handicap.

J’ai rencontré le ministre de la Santé du moment, le professeur Jean-François Mattéi qui m’a écoutée très attentivement, et plutôt sceptique, avant de conclure : « Avec les handicapés, madame, il n’y a rien à faire. » Je l’ai regardé fixement et j’ai retrouvé ma devise : « Vous avez raison, monsieur le ministre. Il n’y a rien à faire : alors, qu’est-ce qu’on fait ? » Cette maxime est ma manière d’être.
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J. K. [son père] déclarait que son but dans l’existence était de « sortir ses filles de l’intestin de l’enfer », sinistre métaphore de notre pays. « Il n’y a pas d’autres moyens de le faire que d’apprendre des langues, c’est clair, il faut que vous parliez des langues étrangères. Et d’être indépendantes financièrement, bien entendu. » Papa disait que cette expression était dans l’Évangile, mais je ne l’ai trouvée que chez Dante, dans le dernier chant de l’Enfer, au 9e cercle : l’intestin, en italien burella, répandu sur le sol, est l’image du « cœur brisé ». Était-ce son obsession, son « roman familial » secret ? Pour lui, le patronyme Kristev, littéralement « de la croix », « ça ne s’invente pas, ce nom nous vient des croisés qui portaient une croix cousue sur leurs vêtements, mais oui, il est établi qu’ils passaient par la Thrace (la région de son village natal), dès le XIe siècle ! » Ma mine incrédule le « fâchait tout rouge » : « Je n’ai pas besoin d’archives pour le savoir ! D’ailleurs, depuis tant de siècles, elles auraient disparu, je le sais, c’est tout. » À mes yeux, cette croyance sans preuves historiques aggravait son cas, mais cette étymologie hypothétique m’a impressionnée, tout de même. À tel point que je l’ai reprise dans Meurtre à Byzance !

Nota : Dante, un point commun avec Sollers qui au moment où sortait ce livre était l’invité de la Société Dantesque de France, à la Sorbonne. Et Kristev, un nom prédestiné pour le catholique baroque qu’est Sollers !




L’apprentissage du français

J.K. Je serai à jamais reconnaissante à un professeur de français qui a formé mon goût pour la littérature et la culture européennes du XXesiècle. Cyrille Bogoyavlenski était un Russe blanc, un aristocrate échoué à Sofia. Adolescente, j’ai suivi régulièrement ses cours de langue et littérature françaises à l’Alliance, où il y avait d’autres professeurs remarquables, mais c’est son visage et sa voix qui me reviennent aujourd’hui, quand je ferme les yeux. J’étais sa préférée, allez savoir pourquoi ! […] C’est lui qui m’a transmis pour de bon le désir de France. La littérature française qu’il me révélait me ramenait à la magie du français qui m’avait effleurée en maternelle, c’était désormais un univers nouveau, terriblement exigeant et pourtant proche, la clarté des rêves.

[…] le Gavroche de Victor Hugo, auteurque Bogoyavlenski nous faisait lire et recopier, m’a paru légendaire et cependant accessible.

[…] Pendant longtemps, j’ai gardé un cahier de textes, rempli de phrases recopiées à la plume, de mon écriture de petite fille appliquée. Quand je suis arrivée à Paris, je ne pouvais pas m’empêcher d’apercevoir Gavroche auprès de l’éléphant disparu, et de ressentir « l’effet que l’infiniment grand peut produire sur l’infiniment petit ». Je cherchais le banc au Luxembourg où s’étaient croisés Cosette et Marius. Définitivement réaliste pourtant, le premier poème que j’ai appris à mon fils David fut de Victor Hugo : « Sur une barricade, au milieu des pavés… » Il le récite encore, mi-pathétique, mi-comédien :


« Mais le rire cessa car soudain l’enfant pâle,
Brusquement reparu, fier comme Viala,
Vint s’adosser au mur et leur dit : Me voilà.
La mort stupide eut honte et l’officier fit grâce. »
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Julia Kristeva.Petite, j’ai souvent entendu cette chanson en russe :

Dvadtsat vtorovo iyunya,
Rovno v chetyre chassa,
Kiev bombili, nam obyavili,
Chto nachalassya voyna.
(Le vingt-deux juin,
À 4 heures exactement
On a bombardé Kiev et nous a annoncé
que la guerre a commencé.)
Je suis née deux jours après le début de la guerre. C’est vers 4-5 ans que j’ai pris conscience que mon anniversaire était associé au rythme grandiose d’un conflit mondial… et, en définitive, à l’impression d’être consumée dans une explosion : pas de place pour « moi », rien qu’un éclat dans un monde en proie à la destruction. Ensuite, basculement de la Bulgarie dans le bloc communiste, reconstruction, pénurie, oppressions et promesses, guerre froide…

Nota : Kiev, déjà, point de guerre entre l’Europe et la Russie. Hier, comme aujourd’hui.




La fête de l’alphabet

S. D. Vous racontez avec beaucoup de tendresse dans Pulsions du temps la fête de l’alphabet en Bulgarie à laquelle vous participiez, petite fille. Dans le défilé, vous étiez, vous incarniez une lettre, est-ce que votre goût précoce pour le langage vient de là ?

J. K. Dans notre famille, la culture occupait une place centrale. Les livres, le piano, le chant, le théâtre, l’opéra…

Cela dit, la Bulgarie est à ma connaissance le seul pays au monde à célébrer l’alphabet. Le 24 mai, jour de célébration des frères Cyrille et Méthode, est devenu une « fête de la Culture ».

Dans Pulsions du temps, j’évoque les détails de leur histoire
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