Plus que Milan, mieux que Florence et avant Rome, Venise est «triomphante», s'émerveillent les voyageurs qui découvrent la cité vers 1500. D'abord, ils s'étonnent devant une ville bâtie sur les eaux. Mais voilà que cette cité leur paraît plus urbaine que toute autre. Des églises, des palais, des places et des ponts, mais pas de jardins ni d'arbres, pas de campagne proche : un miracle de pierre. «Ce me semble tout jaspe, cassidone [calcédoine] ou albâtre», écrit l'un d'entre eux. Ainsi se saisit la gloire de Venise. Lorsqu'ils mettent en forme leur histoire, les Vénitiens n'écrivent pas autre chose. Tous les textes, des premières chroniques médiévales aux histoires officielles de l'âge moderne, exaltent la singularité de l'installation au coeur des lagunes.
C'est l'invasion lombarde qui, à la fin du VIe siècle, marque une rupture. L'Italie, tenue par les Ostrogoths, vient d'être reconquise par les Byzantins dans les années 539-563. Face à l'arrivée du peuple germanique, paysans et citadins avaient abandonné la Vénétie continentale pour le refuge des îlots lagunaires et des cordons littoraux. Les Byzantins, qui parviennent à garder sous leur autorité Ravenne et les terres alentour, favorisent peut-être ce repli. Les premiers groupes de réfugiés considèrent sans doute cette installation comme provisoire. Mais l'insécurité permanente empêche tout retour et met en mouvement d'autres groupes d'habitants de la Vénétie vers la zone littorale.