Le Goût du bonheur, Tome 1 : Gabrielle

On reconnaît les grands à la façon dont ils traitent les petits. Gagner en humiliant, c'est perdre.

Vous dites que vous connaissez la misère des gens, que vous essayez de la soulager et, je le vois,vous possédez bien votre sujet. Alors, excusez moi, mais vous vous trompez en croyant que vous ne faites pas de politique. Rien au monde n'est plus politique que la misère.

L'île est une splendeur dorée et paresseuse. Rien, absolument rien dans ce paysage n'ordonne la moindre hâte, la moindre coercition. La plate-bande de fleurs est à son zénith, les dahlias ont rejoints les asters et les immortelles, toutes les couleurs se mélangent et s'inclinent d'un même mouvement sous sa main. ça sent la terre grasse qui a chaud.

La musique finit enfin. En se dégageant, Gabrielle est à nouveau étourdie et chancelle. Le bras secourable de Jules-Albert la saisit fermement. Il l'entraine jusqu'à sa table et chuchote à son oreille : " Vous êtes enceinte ? Vous auriez du me le dire, j'aurais modéré le tempo." Surprise et confuse, elle se souvient qu'il est médecin et que c'est à sa profession qu'elle doit un commentaire si cru. Beau comme il est, il doit rendre ses patientes à la vie à seulement les regarder. Elle sourit à cette idée.

" Cette enfant va me tuer ! "

Elle saisit sa binette et farfouille la terre avec bonheur. Soudain, mue par une impulsion de plénitude, elle prend deux pleines poignées de terre grasse et les hume en les malaxant pour en exalter le parfum. Elle lève la tête et regarde ce ciel si bleu au-dessus des feuilles vertes qui oscillent. La vie lui paraît une telle merveille de perfection! Le coeur dilaté par la joie profondeur d'être vivante, à genoux dans la terre à respirer l'été et la générosité de la vie à son égard, elle murmure un merci qui s'adresse à toute force divine responsable de cet instant de pur et total contentement.

Est-ce qu'il n'y a pas une femme qui a dit que le mariage a été pour beaucoup de jeunes filles un acte de vente où toutes les clauses du contrat ne profitent qu'a l'acheteur ?

Une sorte de paquet informe : les femmes. Les créatures, que mon père disait. Quand j'entends ça, c'est plus fort que moi, je vois un pacage avec des bêtes qui bougent tout en tas et tout en désordre. Comme ça reste en dedans de l'enclos, ça dérange rien pour l'ordre du reste. C'est de même que je sens ça, Edward : je suis enfermée dans un enclos...

Ne savez-vous pas, Nic, que les enfants sont comme les hommes quand ils sont malades ? Ils ont l’air à l’agonie et ils sautent ensuite sur leurs pieds. La convalescence est un mot et une réalité inconnus des hommes. Tant qu’ils sont atteints c’est grave et dramatique.

Adelaïde à son père : " Papa,si tu n'avais pas rencontré maman ou si tu l'avais rencontré trop tard, qu'est-ce que t'aurais fait ? "
Edward range les perles, ferme l'écrin : " tu peux aussi me demander comment on respire sans poumons ou comment on pense sans cerveau. Je ne sais pas Adélaide . Elle est là, et je remercie le ciel tous les jours. C'est tout. "