Otto Frank, qui, lorsqu'il fut question de faire de l'Annexe un musée, en 1960, exigea que l'appartement demeure dans l'état où il l'avait retrouvé. Qu'on en soit témoin, du vide, sans pouvoir s'y soustraire; qu'on s'y confronte. Voyez ce qui jamais ne sera comblé.
Ainsi, en sortant, on ne pourra pas dire: dans l'Annexe, je n'ai rien vu. On dira: dans l'Annexe, il y a rien et ce rien, je l'ai vu.
Elles ne connaissent que les extrêmes, ces familles. L'exil ou la mort. L'héroïsme ou la mort. Naître après, c'est vivre en dette perpé- tuelle. Chaque enfant sera un miracle. Il aura le devoir d'être sur-vivant.
Sur le velouté des joues d'Anne Franck, des petits points se baladent, ils dessinent un chemin d'enfance.
Anne Franck avait des taches de rousseur.
p.123
C'est un geste apatride que celui d'écrire, une échappée sans ancrage, en terres inconnues. Mes romans me baladent, ils me mènent en bateau. Je crois avancer. Au bout de plusieurs semaines d'écriture, je ne sais plus rien sauf ceci : ma route est une impasse. Le récit m'échappe, il attend, ailleurs. [...] la langue n'est pas un objet inerte dont on se saisit et qu'on plie à sa volonté. C'est elle qui nous transforme, qu'on lise ou qu'on écrive. [...] Pourquoi écrit-on ? Si j'ai oublié comment se termine le roman Confessions d'un gang de filles de Joyce Carol Oates, ces quelques lignes, je les connais par coeur : "Quoi que vous fassiez, que vous le fassiez seule ou non, à quelque moment que vous le fassiez, de quelque façon que vous le fassiez, pour quelque raison que vous le fassiez, quelque mystérieux que soit le but dans lequel vous le fassiez, n'oubliez jamais que sur l'autre plateau de la balance il y a toujours le néant, la mort, l'oubli. Que c'est vous contre l'oubli."
Nous sommes les enfants des romans que nous avons aimés.
Elle gagnait du temps sur la mort en écrivant sa vie.
J'aimerais m'emparer du téléphone et réconforter ce flou conspué. Le flou est une espèce en voie de disparition dans un monde où règne l'exigence de transparence. On y vante la limpidité, la clarté d'une intervention médiatique. Savoir résumer son propos en quelques mots est un savoir contemporain, un idéal d'agence immobilière.
Les discours "clairs" sont souvent ceux de communicants, qu'ils soient hommes politiques ou publicitaires. On voit au travers : ils nous vendent quelque chose. Le flou interroge. Il faut y regarder de plus près. C'est une brume de mer qui dissimule le profil d'une falaise. C'est ce trouble d'un amour naissant, qui ne s'appelle pas encore "relation". C'est une tristesse sans objet, qui surgit quand on s'y attendait le moins, au bord du bonheur. Les créatures floues ont pour elles l'espace de la fiction, qui n'aime rien tant que les personnages dont on ne sait jamais tout. Un roman ne peut être transparent, il est tissé de doutes et de solitude, celle de l'écrivain qui lui a consacré son temps. Un roman ne se vend pas, il propose.
Le ravage, dans ma famille, s'est transmis comme ailleurs la couleur des yeux.
Otto Franck, qui, lorsqu'il fut question de faire de l'Annexe un musée, en 1960, exigea que l'appartement demeure dans l'état où il l'avait retrouvé. Qu'on en soit témoin, du vide, sans pouvoir s'y soustraire, qu'on s'y confronte.
Voyez ce qui jamais ne sera comblé. Ainsi, en sortant, on ne pourra pas dire : dans l'Annexe, je n'ai rien vu. On dira : dans l'Annexe, il n'y a rien et ce rien, je l'ai vu.
Lorsqu'un dimanche, il sonne à la porte des parents de Laureen, "Mister Franck" n'a plus ni logement ni famille, ni l'assurance tranquille qu'elle lui a connue. C'est un égaré parmi les vivants.