Citations sur Quand tu écouteras cette chanson (499)
Les vraies images, sur le mur, étaient jaunies, pour certaines déchirées. Elles se superposaient, s'annulaient, au rythme des désamours de la jeune fille. Une mosaique pop qui s'en fichait, du bon goût : des chimpanzés réunis autour d'une table côtoyaient des fillettes trop blondes, la Pietà de Michel-Ange effaçait la silhouette d'une patineuse collaborationniste, Michel-Ange et Hollywood s'inclinaient devant une princesse rieuse âgée de douze ans à peine, Élizabeth d'York.
L'anorexie est un monologue. Qui dit que quelque chose nous dévore, qu'on brûle du désir de vivre. L'anorexie, je crois, est une promesse de fidélité faite à des absents. L'anorexie est , je crois, la langue que parle celles qui héritent de récits silencieux.
On ne pourra pas dire qu'on se savait pas ; on pourra dire qu'on ne savait pas que faire de ce qu'on savait .
La mémoire est un lieu dans lequel se succèdent des portes à entrouvrir ou à ignorer; la mémoire, écrit Louise BOURGEOIS, " ne vaut rien si on la sollicite, il faut attendre qu'elle vous assaille".
Certaines rencontres commencent au moment où on se quitte, quand le temps presse. Alors les mots battent au cœur de l'essentiel.
Anne Frank désirait être lue, pas vénérée... Elle n'est pas une sainte. Pas un symbole. Son journal est l"oeuvre d'une jeune fille victime d'un génocide, perprétré dans l'indifférence absolue de tous ceux qui savaient.
Je ne peux m’empêcher de penser que, peut-être, Anne Frank aurait souri de lire qu’un négationniste affirma, comme preuve ultime de falsification, qu’aucune jeune fille de quinze ans n’aurait été capable de penser et encore moins d’écrire ce qu’il avait lu dans Le Journal : c’était trop intelligent e irrévérencieux, pour une gamine.
Etre juive est un choix dont j’ai imaginé que je disposais, d’une façon lâche et naïve ; dès l’enfance, j’ai été témoin de phrases antisémites. Mais elles ne m’étaient pas directement adressées. Ceux qui les proféraient se sentaient en sécurité avec moi : ils ne pensaient pas que j’étais juive.
Sans doute étais-je loin de correspondre à l’idée qu’ils se faisaient des juifs. Sans doute étais-je trop blonde, trop pâle, le nom de famille de mon père, Lafon, les induisait en erreur, qui faisait écran au nom étranger de ma mère.
« Juive, toi ? mais tu n’as pas l’air » est le compliment qui a très souvent accueilli la révélation de ma judéité. Je n’avais pas l’air.
Et j’ai parfois laissé dire.
Ne pas avoir l’air a été la tâche à laquelle se sont employés mes grands-parents, ainsi que ma mère, comme n’importe quels immigrés.
Travailler à se faire invisible. Donner à ses enfants les noms de calendrier chrétien, n’être coupable d’aucun signe « ostentatoire ». S’appliquer à être une « bonne juive » comme on parle de « bons musulmans » : faire honneur au pâté de porc, fêter Noël, rire aux blagues antisémites ou du moins ne pas s’en offusquer. Ne pas trop parler de la Shoah. Passer à autre chose.
Lexomil et Temesta, compagnons de route de mes grands-parents, comme de tout leur entourage, ces immigrés russes, polonais, roumains.
On prend quotidiennement son cachet avant de dormir, même si aucun médecin ne l’a prescrit, on en propose aux amis dès qu’ils font montre de tristesse, comme on leur offrirait un chocolat.
L’exil – perdre racine-est un mal dont les symptômes me sont familiers. Je ne peux en témoigner à la façon d’une sociologue ou d’une psychiatre, mais comme petite-fille d’exilés. Je sais les désordres de ceux qui ont dû se défaire de leur prénom, de leur langue, de leur pays, de leur maison, de leurs parents, de leurs désirs. Les survivants et les exilés ne sont pas des héros. Ce sont des épuisés qui font comme si. […]
Ce sont des parents follement inquiets à l’idée de ne pas parvenir à protéger leurs enfants. Ce sont des parents qui les somment de ne pas se faire remarquer, qui leur inculquent l’art de disparaître, de se fondre dans le paysage.
Ce sont des grands-parents follement fiers de la plus minuscule réussite de leurs petits-enfants, de tout ce qui confirmera l’appartenance au pays d’accueil. Des grands-parents qui, lorsqu’on leur récite une banale poésie française en sixième, ont les larmes aux yeux.
Quel étrange humanisme hollywoodien que le nôtre, à nous qui préférons nous souvenir surtout de la « bonté innée des hommes ». Quel cruel optimisme que le nôtre, celui qui, au nom de l’ »espoir », préfère oublier ceci, écrit le vendredi 26 mai 1944 :
« Si nous aussi un jour… non, je n’ai pas le droit de finir cette phrase, je n’arrive pourtant pas à chasser cette question aujourd’hui, au contraire, cette peur que j’ai déjà vécue me revient dans toute son horreur. »
Si Anne Frank ne se donne pas le droit de finir sa phrase, nous avons peut-être le devoir de le faire.