Lorsqu'un dimanche, il sonne à la porte des parents de Laureen, "Mister Franck" n'a plus ni logement ni famille, ni l'assurance tranquille qu'elle lui a connue. C'est un égaré parmi les vivants.
Comment l'appeler, son célèbre journal, que tous les écoliers ont lu et dont aucun adulte ne se souvient vraiment ? Est-ce un témoignage, un testament, une oeuvré ? Celle d'une adolescente enfermée pour ne pas mourir, dont les mots ne tiennent pas en place.
Celle d'une jeune fille, qui n'aura pour tout voyage qu'un escalier à monter et à descendre, moins d'une quarantaine de mètres carrés à arpenter, sept cent soixante jours durant.
Le ravage, dans ma famille, s'est transmis comme chez d'autres la couleur des yeux.
Certaines rencontres commencent au moment où on se quitte, quand le temps presse. Alors les mots battent au cœur de l'essentiel.
(...) son célèbre journal, que tous les écoliers ont lu et dont aucun adultes ne se souvient vraiment.
Les sociétés se constituent sur ce qu'elles privilégient comme récit à transmettre.
L'anorexie est un monologue. Qui dit que quelque chose nous dévore, qu'on brûle du désir de vivre. l'anorexie, je crois, est une promesse de fidélité faite à des absents. L'anorexie est, je crois, la langue que parlent celles qui héritent de récits silencieux.
On sera tout entière dans l'abnégation, avide de souffrances tangibles. On s'imposera une très rude discipline quotidienne de privations et d'exercices. On ne cédera à rien, pas même à ses besoins physiologiques. On chérira la faim, le vide; les douleurs musculaires et migraineuses seront autant de preuves de vaillance.
On sera en quête d'excellence, d'exceptionnel, tout en sachant que jamais on ne sera à la hauteur de ceux qui nous ont précédée, de leur courage, de leur héroïsme, de leurs chagrins, de leur ravage.
Alors, on s'acharnera à être insauvable.
Certains objets sans valeur nous sont intimement précieux. Ils témoignent d'un être, d'un amour, d'un lieu qui n'est plus. On ne peut supporter l'idée de les perdre, mais on a du mal à les regarder, tant leur pouvoir d'évocation est puissant. On les conserve au secret, dans une boîte, une enveloppe, en lisière de mémoire.
Ecrire n'est pas tout à fait un choix : c'est un aveu d'impuissance. On écrit parce qu'on ne sait par quel autre biais attraper le réel. Vivre, sans l'écrire, me va mal, comme un habit trop lâche dans lequel je m'empêtre. Il faut parfois rétrécir l'espace pour en entendre l'écho.
Pourquoi écrit-on ? Peut-être est-il possible de répondre par la négative : ne pas écrire met à vif toutes les failles, alors on écrit.
La nuit, je me la figurais semblable à un recueillement, à un silence. J'imaginais la nuit propice à accueillir l'absence d'Anne Frank, je me préparais à être au diapason du vide, à la recevoir.
Je me suis trompée. La nuit s'est habitée, éclairée de reflets; au coeur de l'Annexe, une urgence se tenait tapie encore, à retrouver.