Cette voix n'a pas de visage, une ombre lui parle. C'est donc ça être aveugle, entendre des ombres ?
L’eau qui bouillonne à l’orée des avaloirs, cogne le zinc, éclabousse les trottoirs, tambourine sur les portes, chaque goutte, chaque clapotis, chaque ruissellement, dessine pour Vincent les contours de façon plus précise et jette des couleurs sur ce qui était invisible.
Est-ce que les gens cessent de vous regarder quand on ne les voit plus ?
C’est donc ça être aveugle, entendre des ombres.
Les souvenirs d’enfance ne se revendent pas au marché noir.
Je suis un m’as-tu-vu qui ne verra plus !
Je poireaute depuis longtemps, il faut une sacrée persévérance pour être récompensé dans l'existence.
Derrière eux, la rivière, elle, poursuivra sa course. Le courant ne s’arrêtera pas parce que lui s'immobilise. Les oiseaux continueront à chanter. Emilie pleurera. Et lui, incapable de sécher ses larmes, de la serres dans ses bras, il maudira l'injustice de ce destin.
Vivre ensemble. Fonder une famille. Devenir père. Le bébé qu’ils évoquent à demi-mot depuis six mois. Vincent vacille. Un enfant sans voir ? Quand il l’habillera, il ressemblera à un clown. Et s’il le perd au parc ? Et s’il le laisse glisser dans le bain ? Un bébé, deux bébés, trois bébés. Une photo d’eux encadrée sur l’étagère ?
Dégénérescence maculaire, rétinopathie pigmentaire, l’ordinateur crache des noms étranges qui ne le concernent pas. Neuropathie optique de Leber ! L’ennemi en lettres grasses sur son écran.