L'important n'était pas de tout savoir sur les cartes postales, mais d'en envoyer et d'en recevoir, aujourd'hui, demain et tous les autres jours. Pour écrire de bons livres, il ne s'agissait pas d'être bien documenté, comme on l'imaginait naïvement, mais d'avoir bien vécu, de s'être souvent perdu et toujours retrouvé.
Tous ces mots, toutes ces cartes postales, c'étaient les rites des vacances, les timbres, les crayons jetés en désordre sur la table. C'étaient l'improvisation, l'ombre fraîche derrière les persiennes, les fous rires. On n'est pas sérieux quand on écrit des cartes postales. Ce n'est pas un devoir, c'est un jeu ; ce n'est pas un emploi, c'est un passe-temps. À force de chercher des mots plus amples, plus moelleux, on improvise des exercices de style.
La carte postale, c'étaient donc les mots alliés avec la vie. Dans l'empire de la marchandise, c'étaient l'amour et l'amitié tracés en belles lettres avec la main ; le bonheur et la beauté racontés avec de l'encre et du papier.
On ne devrait jamais oublier qu'ailleurs est un mot plus beau que demain...
Les voyelles de Rimbaud, A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, émerveillaient petits et grands, mais plus personne ne daignait lire le chapitre du -Quart Livre- dans lequel Pantagruel, Panurge et frère Jean des Entommeures embarqués sur l'Océan atteignent les confins de la mer de Glace et rencontrent les paroles gelées qui ressemblent à des dragées -perlées de diverses couleurs- Quelle page, quelle verve, quelle fantaisie, quelles images, pourtant...
" Nous avons vu des mots rouges, des mots verts, des mots bleus, des mots noirs, des mots dorés. Une fois réchauffés entre nos mains, ils fondaient comme neige, et nous les entendions réellement." Il admirait les dons de coloriste de Rimbaud et ses voyelles arc-en-ciel. Mails il lui semblait devoir rappeler les droits d'aînesse des mots rouges, des mots verts, des mots bleus, des mots noirs et des mots dorés de messire François Rabelais. (p.20)
Il avait éprouvé de manière nouvelle le bonheur d'écrire une carte postale du bout du monde, puis de la glisser dans une boîte, en sachant qu'un inconnu la ramasserait, la jetterait dans un sac, la porterait dans un centre de tri, puis un autre du centre de tri à l'aéroport, d'où la carte, embarquée à bord d'un avion, s'envolerait dans les airs, traverserait les océans, les plaines, les montagnes, avant d'arriver à destination, d'être déchargée, convoyée, à nouveau triée, distribuée par le facteur et enfin-et seulement enfin- découverte dans sa boîte par le destinataire après une longue course à travers le monde. (p.56-57)
Comme saint-Exupéry dans -Vol de nuit-: "Ciel pur, pleine lune, vent nul". Certains jours, songeait-il en faisant tourner son crayon entre ses doigts, écrire une carte postale consistait simplement à poétiser le calendrier et la météo. (...)
La carte postale restait dans sa vie et dans celle de ses contemporains un objet très actuel-un bonheur en actes. (p.32)
Est-ce qu'on est sérieux lorsqu'on écrit des cartes postales ? Est-ce qu'on est sérieux lorsqu'on écrit une "Théorie de la carte postale" ? (p.98)
Une carte postale au temps des sms, c'était la revanche de la relation concrète.
(Il avait pensé à tout le mal qu'on faisait au langage. Il lui était alors apparu comme une évidence qu'écrire des cartes postales était un acte de résistance.)