Aujourd'hui, Dieu m'abandonne. Il me punit d'avoir voulu forcer le destin… Cherché à bafouer les règles de la nature, telles que le Seigneur Tout-Puissant, dans Son infinie sagesse, les a créées… Tenté de réaliser les rêves d'un très jeune homme, alors que j'avais le corps, le cœur, l'âme d'un vieillard ! Voilà ma faiblesse, Isabel, et mon erreur : avoir cru que j'étais capable de tout, malgré Lui, et sans Lui… Ta faiblesse à toi, mon amour, c'est ta passion pour la vie. Ton incapacité à dominer ta soif d'exister et de vaincre. Tu veux tout trop vite, et tu veux tout trop fort.
La seule différence entre le héros et le fou, entre la détermination et la bêtise, voulez-vous la connaître ? C'est le succès.
Elle restait décente. Et pour cause ! Elle avait sur ce terrain quelques longueurs d'avance : chez elle, la misère n'avait pas oblitéré la pudeur. Pas encore… Elle n'exhibait pas ses jambes et ses seins nus.
Elle voyait les hommes voler leurs gobelets d'eau aux plus jeunes, les mères s'emparer de la ration qui revenait à leurs bébés, mille petites infamies dont elle était le témoin. Elle reconnaissait en son for intérieur qu'elle n'avait jamais accordé beaucoup d'attention aux colons… Assassins, prostituées, vagabonds : la lie de l'humanité.
La grandeur du conquérant se mesurait à l'aune de sa réussite. Et la gloire se mettait toujours du côté du vainqueur !
Au-delà de sa passion pour cette épouse trop jeune, trop belle, trop riche, trop vigoureuse, une femme qui incarne le triomphe de la vie sous toutes ses formes, Alvaro de Mendaña la respecte et la connaît pour ce qu'elle est.
L'égale d'un homme.Si quelqu'un peut gouverner ici, si quelqu'un peut survivre, c'est elle.
Il confiait officiellement les clés de la maison et l'administration du domaine à ma mère ; il lui ôtait la charge d'Isabel, avec la même solennité. Sous le prétexte que cette fille-là ne relevait que de son autorité à lui, elle devait être tenue à distance du gynécée. Craignait-il que la douceur et la tendresse maternelles l'amolissent ? Il la remettait aux soins de deux de ses anciens soldats, deux soudards qu'il avait choisis, l'un comme maître d'armes, l'autre comme maître de manège.
La voix d'Isabel resta en suspens. Pétronille attendit la suite. Rien ne vint.
Pétronille insista :
Si ?
Isabel hésita :
Si j'aurais dû réagir différemment... Dire autre chose ? Elle soupira. Quoi qu'il en soit, j'avais coupé court à l'hésitation qui le clouait au sol. La possibilité de renoncer au voyage était passée. Le cérémonial du lendemain allait revêtir l'apparence d'un départ en croisade.
Et pourtant tous continuaient de subir son gouvernement. Pourquoi ? Sa beauté les fascinait-elle encore ?
Il est plus facile de susciter la guerre que de conclure la paix.