Diaphane et puissante. Suave et dure. Tu as l'éclat de l'or et celui du jais. Le clair et l'obscur. Ces dissonances et ces dualités qui font la singularité de ton apparence s'étendent, je pense, à ton portrait moral.
Cette femme constituait une menace pour le salut de tous. Malheur à qui l'approchait ! Un être contre nature. Un monstre. La Méduse. Malheur à qui rencontrait son regard ! Elle fascinait et tuait ceux qu'elle séduisait. Il devait trouver le moyen de la neutraliser. D'abord parce qu'elle était une femelle, et qu'une femelle portait malheur sur un navire. Ensuite parce qu'une femelle ne pouvait commander à des hommes. Encore moins à des marins.
Il suffit de si peu de malveillants pour instaurer le désordre.
Ah, Lorenzo, soupira-t-elle… Incorrigible ! Incontrôlable ! Une tête brûlée… Comment lui reprocher d'être trop beau, trop gai, trop vivant ? Au fond, Lorenzo, ce n'était que cela : la passion de la vie sous toutes ses formes. La passion du risque, la passion des femmes, la passion de l'amour.
Même dans le silence, même dans l'ombre, même à genoux, les yeux brûlés par les larmes, la chair mortifiée par le cilice, Doña Isabel attirait encore la lumière et suscitait le scandale.
L'excès de ses jeûnes et de ses macérations, l'éclat même de son humilité suscitaient le trouble chez les novices et l'inquiétude de l'Abbesse. Sa conduite réveillait dans l'âme de toutes les religieuses une immense curiosité pour le monde.
Pour raconter leur quête, une épopée qui dépasse toutes les fictions, j'ai pris la liberté d'imaginer le cheminement de leurs émotions dans le contexte qui les entoure. Et de moderniser la langue du Siècle d'Or.
Je me suis toutefois obstinée à m'en tenir aux dates, ainsi qu'à respecter les faits en ma connaissance.
Quand je pense qu'il a exigé que tu portes son nom. Pas celui de notre mère ainsi qu'il est d'usage pour toutes les filles en Espagne ! Non : son nom à lui. Barreto. Comme ses fils. Isabel Barreto...
Il l'avait épiée avec trop d'attention, il connaissait de trop près les étapes de sa métamorphose, pour ne pas reconnaître que les charmes et les fastes d'Isabel Barreto n'étaient désormais qu'un souvenir. Et que ce souvenir-là n'impressionnait, n'émouvait ou n'exaspérait plus aucun membre de l'équipage.
Fini depuis belle lurette, l'étalage des dentelles éclatantes que le vent ne pouvait chiffonner ! Terminée l'époque des jupons craquants et des fraises empesées qu'elle promenait sur le pont ! Révolu le temps des frisons et des bouclettes, de ses coiffures si hautes et si luisantes, arrimées de tant d'épingles et de tant de peignes, que même les bourrasques ne parvenaient pas à les déranger !
Aucun homme ne peut revivre sa jeunesse…