La lutte des classes continue, et le top 10 % veut gentrifier la culture comme le reste car la liberté, l'égalité et la fraternité démocratiques sont incompatibles avec l'élitisme aristocratique : c'est ainsi qu'est apparu le terme « roman graphique », un expression snob pour faire de la bande dessinée tout en crachant à satiété sur les bandes dessinées (le libellé de l'insigne « roman graphique » sur babelio est ainsi juste une grosse honte). J'ai donc mis beaucoup de temps et pris beaucoup de recul pour aborder avec sérénité les œuvres étiquetées « romans graphiques » et acclamées comme des chefs-d'oeuvre, pas comme les bandes dessinées qui elles ne seraient que du temps de cerveau disponible par les masses décérébrées...
"Blast" aurait pu être un thriller psychologique à l'image des films "Deceiver" (1997), "The Interview" (1998) et "Dans la tête du tueur" (2004), dont un passage est repris par l'auteur par ailleurs : oui mais non, les enquêteurs servent de passe-plats au narrateur Polza Mancini qui raconte sa vie et présente sa philosophie de la vie. Au début j'ai trouvé touchante cette histoire de névrosé qui dans sa quête de liberté finit dans la plus complète marginalité. On aurait pu avoir un drame social voire un road movie en clochardie, mais le personnage et ses discours ont fini par m'insupporter : c'est juste un sociopathe qui prend tout le monde de haut en intellectualisant et poétisant son égotisme qui semble révéler son incapacité à empathiser. Donc nous avons 200 pages mettant en scène un obèse boulimique et alcoolique qui se murge en attendant que son foie lâche, car lors de ses hémorragies cérébrales il a des hallucinations dans lesquelles le monde passe du gris au technicolor sous les crayons des enfants Lilie et Lenni avant de taper la discute avec des moaïs dans ses vrais-faux trips shamaniques... Les diatribes sur la norme, le conformisme et la société de consommation tombent à plat vu qu'on prend bien le temps de se moquer des oubliés du système qui n'y ont même pas accès (pauvres, étrangers, minorités). Après peut-être que l'étrange Gary Stu de l'auteur me réserve des surprises par la suite, car à la fin du tome 1 intitulé "Grasse Carcasse" je pensais exactement comme les enquêteurs, et au mot près en plus... Les coïncidences à ce point là, ça n'existe pas ! ^^
Un titre clivant : on adore ou on déteste, et moi je ne suis pas loin d'avoir détesté cette mise en place... Mais mon déplaisir et mon désintérêt ne remettent pas en cause le talent de Manu Larcenet, vétéran de l'école Fluide Glacial qui ici maîtrise l'art séquentiel avec un découpage classique mais soigné et une fabuleuse utilisation des niveaux de gris*. Après il faudra que quelqu'un m'explique cette horripilante manie arty d’utiliser des personnages hideux pour réaliser des histoires se présentant comme très sérieuses : perso cela me sort immédiatement du truc que tous les personnages soient des caricatures cartoonesques ambulantes (surtout quand le reste est autrement mieux dessinée, car si tous les personnages sont moches la nature est juste magnifique).
* là aussi j'ai peur d'une manie arty : on ne compte plus les auteurs de « romans graphiques » qui se réclament de la lithographie dixneuvièmiste pour faire du révisionnisme culturel et nier l'existence de la bande dessinée en tant que membre à part entière des arts majeurs...
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À lire ce premier tome de Blast, ce qui saute aux yeux, c'est que Larcenet semble nourrir de gros complexes vis-à-vis des arts plastiques et de la littérature. D'où cette nouvelle série, qui ne donne plus du tout dans l'humour, et qui, lorsqu'on en feuillette les pages, séduit rapidement. Il y multiplie les cases et les planches, toutes travaillées à l'encre, qui impressionnent par leur joliesse et la dextérité du dessinateur. On est carrément à l'opposé des Cosmonautes du futur, dans lequel il affectionnait un dessin volontairement "moche". Pour parfaire la chose, il a opté pour une narration essentiellement en voix off, dans un phrasé, disons... ampoulé.
Inutile d'y aller par quatre chemins, je trouve que l'album sonne creux de bout en bout. Des cases et planches qui sont certes jolies, mais plus décoratives qu'utiles à la narration, à la pseudo-philosophie dont nous rebat les oreilles l'anti-héros, en passant par les critique et morale assez faciles (je n'imaginais pas que Larcenet oserait un truc aussi éculé qu'une référence à Star Academy), je me suis ennuyée, ennuyée, et ennuyée. Non seulement on va de banalité en banalité énoncées sans vergogne - banalités censées nous toucher au cœur et nous faire réfléchir sur la société dans laquelle nous vivons -, mais on peut également être étonné du peu d'originalité dont fait preuve Larcenet dans sa conception de l'album. On s'attendrait logiquement, de la part de quelqu'un qui travaille dans la BD depuis de nombreuses années et qui a contribué à son renouvellement en France, à une grande maîtrise du médium. Or, pas d'innovation dans le découpage. Et, surtout, pas de travail en profondeur sur la mise en page, alors que le sujet, qui repose sur le basculement d'un individu dans la marginalité et ce qu'on appelle en général la maladie mentale, appelle justement une mise en pages hors-normes. C'est un peu comme si Little Nemo avait sagement circulé de case en case, selon un schéma des plus classiques : où aurait été l'intérêt, alors, des strips de Winsor Mc Cay ? le tome 1 de Blast est de plus verbeux, à cause de la voix off surexploitée et des tournures de phrases emphatiques. C'est presque, ou même carrément prétentieux, sous prétexte d'être ambitieux.
Comme ce n'est que le premier tome d'une série, je vais continuer avec les suivants, histoire de savoir où Larcenet nous emmène. Comme je l'annonçais en début d'article, j'ai la sensation qu'il a cherché ici à se faire une place qui le hausserait au niveau de la peinture et de la littérature, en utilisant leurs moyens (un beau dessin allié à une narration en voix off omniprésente) au lieu de se recentrer sur les outils qui sont propres à la bande dessinée. Je salue l'effort que Larcenet effectue pour se renouveler, mais il pouvait se tourner carrément vers le dessin, la peinture ou autre - et ça m'intéresserait vraiment de voir ça ; ou il pouvait tout simplement se renouveler de façon plus radicale à l'intérieur-même du medium qu'est la bande dessinée. La BD n'a besoin de ressembler à aucun autre art pour être légitime. C'est un art à part entière, avec ses spécificités. Pourquoi croire que l'herbe est forcément plus verte ailleurs ?
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http://bobd.over-blog.com/article-petard-mouille-116981711.html
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